nicolasgoulette@yahoo.com

dimanche 30 décembre 2012

Laura Henno


Laura Henno présente ses photographies à la galerie Les filles du calvaire à Paris. Laura Henno montre des jeunes perdus dans des paysages trop grands pour eux. Elle a photographié les résidents d’un centre médico-psychologique à Dunkerque. Elle a mis en scène des jeunes migrants à Calais ainsi qu’à l’île de la Réunion. 

Avec « Flanders » (2009), une jeune femme se tient debout dans une nature de broussailles. Elle regarde au loin, les yeux plissés. Les tons sont pastels, la végétation est jaune, le ciel pâle. Tout semble hésitant dans cette œuvre à commencer par la femme qui ne sait pas où aller. 

« Léon » (2009) est un garçon vu de dos, accroupi dans l’ombre de la végétation. En arrière-plan, le paysage est dans la lumière, flou, inaccessible. Le garçon osera-t-il se lever et avancer ? Il y a une interrogation, une tension dans cette image très graphique avec la trame des feuilles qui se détache sur le fond clair.

Dans la série Calais, « Untitled » (2012) montre des jeunes hommes se cachant derrière un talus. Leurs silhouettes se détachent sur le ciel jaune. A droite de la photographie, là où se dirigent leurs regards, une fumée vient vers eux. Ou est-ce un nuage ? C’est une photographie dramatique. Les personnages semblent immobiles, attendant le moment propice pour bondir et courir.



Entretien avec Laura Henno : 


Nicolas Goulette : Vos photographies sont très structurées, construites de façon stricte, presque minimaliste, avec des personnages sous tension, sous la contrainte des paysages. Est-ce vous cherchez toujours des tensions et des contraintes ? 

Laura Henno : Oui je cherche toujours à mettre en place un rapport de tension dans l’image. En tous cas, que l’image soit sous tension et qu’elle puisse happer aussi les personnes qui la regardent. Cette tension est assez subtile à mettre en place parce que ce sont des images très minimales. Je ne suis pas dans des mises en scènes très sophistiquées. Cela vient aussi beaucoup des gens que je photographie, qui sont eux-mêmes un peu angoissés. 

Vos photographies montrent des paysages qui dépassent l’humain, des terres vierges de toute modernité qui font penser aux arts premiers. Est-ce que les arts premiers sont des références artistiques pour vous ? 

Qu’est-ce que vous entendez par les arts premiers précisément ? 

Les statuettes africaines, par exemple. 

Ce n’est pas du tout une référence que j’ai. Il y a effectivement des choses qui sont assez sculpturales, des personnages qui sont très statiques. Mais non, ce n’est pas du tout une référence. 

Je trouve que vos photographies pourraient être journalistiques. Est-ce que vous avez envie de faire de la photographie pour le journalisme ? 

Non, pas du tout. Je ne me situe pas dans cet aspect de journaliste parce que je suis dans une démarche de mise en scène, qui prend du temps. Je ne me vois pas dans une démarche journalistique. Elle peut nourrir mon travail, mais je suis vraiment dans un parti-pris fictionnel, qui part du réel, qui peut documenter une situation, mais je ne suis pas dans la documentation. Je suis dans un positionnement par rapport à une situation que je vais mettre en avant. 

Pour vous qui vous intéressez aux migrants, est-ce que l’expression artistique est une forme d’errance, une forme de voyage, une promesse d’avenir meilleur ? 

Non, ce n’est pas du tout comme cela que je le vois. Ce n’est pas du tout une forme d’errance. C’est de la recherche. Cela peut être intuitif, mais c’est très pensé. En même temps, il y a des déplacements qui m’amènent à m’intéresser à des sujets qui étaient inattendus. Ce travail sur la migration, c’est parce que je suis allé à Rome, c’est parce que je suis allé à la Réunion. Ce n’était pas des choses qui étaient prévues. Je suis ouverte à ce qu’il se passe autour de moi, mais je n’ai pas le sentiment d’être dans l’errance dans mon travail. 



Laura Henno
La cinquième île
Exposition jusqu’au 16 janvier 2013

Galerie Les filles du calvaire 
17, rue des Filles du Calvaire
75003 Paris

lundi 24 décembre 2012

Basile Dupin-Letrait


Basile Dupin-Letrait réalise des tableaux pleins de poésies dans lesquels les personnages sont perdus dans leurs villes et dans leurs pensées. Il a exposé au « Free Market de Paname », marché d’art alternatif qui s’est tenu au 59 Rivoli à Paris jusqu’au 23 décembre 2012.

« Dans la houle » (acrylique sur bois, 41 x 27 cm) montre une femme perdue dans des vagues bleues regardant, au loin, les immeubles d'une ville moderne. La scène se passe sous un lourd ciel aux nuages épais. Nous sommes dans un rêve au milieu des vagues, du ciel oppressant, de la ville lointaine.

« La ville au matin » (acrylique, format A3) est une ville de jeu de construction fièrement posée sur l'herbe, face au ciel. On trouve force et vigueur dans cette peinture aux instincts primaires. 

« Gangsters » (acrylique sur carton entoilé, 41 x 27 cm) présente deux personnages noirs dans un escalier. La scène est bancale, les murs penchent vers la droite.  Les deux silhouettes sont presque invisibles dans l'escalier noir. Un des personnages descend vers nous en emportant un colis. C’est énigmatique. Qui sont ces deux espions qui restent dans le noir ? Quel lourd fardeau portent-ils pour qu’ils se traînent ainsi dans l’ombre ?

« Chez la voisine du 4e » (acrylique sur carton entoilé, 41 x 27 cm) est un immeuble bleu avec deux fenêtres ouvertes sur un intérieur jaune d’or. Tout en bas, dans la rue sombre, une petite voiture jaune, d’un jaune qui tient tête au jaune des fenêtres. A l’une des fenêtres ouvertes, une personne regarde à l’extérieur, en bas, la rue dans la nuit, et la voiture qui l’attend. 

Basile Dupin-Letrait montre un univers personnel : un univers sensible, bleu ; un univers avec peu de parole ; un univers dans lequel on se laisse aller comme dans un rêve ;  un univers que l’on n’a jamais fini d’explorer.  


Entretien avec Basile Dupin-Letrait :

Nicolas Goulette : Vos personnages sont perdus dans leurs pensées, dans leurs réflexions ?

Basile Dupin-Letrait : Oui. Ils invitent tous à regarder le décor de l’image. Ils sont là pour permettre à celui qui regarde de regarder aussi ce qu'il se passe autour. C’est un plus. Si le décor était tout seul, on aurait moins envie de le regarder, on se sentirait moins attrapé à l'intérieur. Beaucoup des personnages sont intéressés par ce qu'il se passe aux alentours. On a l'impression que l'espace existe. 

Il y a beaucoup d'ambiances bleues. Est-ce que le bleu est pour vous la couleur de l'intériorité et de la réflexion ?

J'adore le bleu et le rouge. Je n'utilise pas beaucoup de jaune. Le vert, le bleu mélangé au jaune, n'est pas une couleur que beaucoup de gens adorent. Alors que le bleu avec le rouge, cela produit souvent des tons assez doux, assez chauds, assez apaisants, même si le bleu est une couleur froide. Le bleu est une couleur qui apaise, qui invite à voir ce qu'il se passe. 

On a l'impression que les personnages sont plongés dans leurs pensées à la façon d'Edward Hopper qui est actuellement exposé au Grand Palais. Est-ce que Edward Hopper est une référence artistique pour vous ?

J'adore Edward Hopper. C'est un peintre que j'ai découvert il y a peu de temps. Ses tableaux sont à la fois de l'illustration, qu'on pourrait retrouver dans des livres, et des vraies peintures. C'est différent de ce qu'on peut voir habituellement dans les musées. Souvent on différencie beaucoup les peintres des illustrateurs. Lui, il a fait à la fois la peinture et l'illustration. On le ressent vraiment dans ses tableaux et on obtient des scènes très réalistes et avec un bel imaginaire. Il y a un monde différent qui se dégage dans ses tableaux. Oui, j'aime beaucoup.


http://bouillesdebasile.blogspot.fr

http://www.lefreemarketdepaname.com

dimanche 16 décembre 2012

Josephine Halvorson


Josephine Halvorson montre ses peintures renfermées à la galerie Nelson-Freeman à Paris. Née en 1981 aux Etats-Unis, elle a exposé à Paris en 2008 et à New York de 2009 à 2011. Elle a participé à plusieurs expositions de groupe aux Etats-Unis (depuis 2005) et à Londres en 2012.

Les toiles « Shutter 1 », « Shutter 2 » et « Shutter 5 » sont des peintures représentant des volets. A chaque fois le volet est grandeur nature et son image rectangulaire emplit tout le tableau. De sorte qu’avec l’épaisseur de la toile qui exprime l’épaisseur du volet, ces œuvres apparaissent comme des objets bien réels en trois dimensions. 

« Vulcan »  montre une pièce d’usine métallique jaune. Il y a comme deux ressorts qui soutiennent un élément au-dessus. C’est un tableau sous pression avec son aspect métallique qui évoque le monde de l’industrie. 

Les toiles de Josephine Halvorson sont fermées comme les volets, oppressantes comme les ressorts. Le fait de peindre les écritures se trouvant sur les machines industrielles («Patented », « Barber Bettendorf », …) rend plus réelles ces peintures sur toiles.

Habituellement, l’art plastique explore les mondes des rêves, les paradis inconscients, les voyages esthétiques. Ici, nous sommes dans un univers froid, clos, réel. 

L’accrochage laisse beaucoup de place entre les tableaux. Ils sont très espacés, ce qui rend leur atmosphère d’autant plus solitaire. Quand nous les regardons, nous ne regardons qu’eux. Nous sommes mobilisés tout entier sur les toiles de Josephine Halvorson comme quand on travaille à l’usine derrière ces volets clos qui laissent peu de place à l’ouverture.


Josephine Halvorson
Jusqu'au 26 janvier 2013

Galerie Nelson-Freeman
59, rue Quincampoix
75004 Paris

samedi 8 décembre 2012

Bertrand Lavier


Né en 1949 en Bourgogne, Bertrand Lavier peint et sculpte des objets qui font réfléchir au statut d’œuvre d’art. Le Centre Pompidou présente jusqu’au 7 janvier 2013 une rétrospective de 40 années de recherche de cet artiste. Pour Bertrand Lavier, le spectateur interprète l’œuvre d’art d’une certaine façon qui  est différente de l’intention qu’avait le créateur à l’origine. Le fait d’exposer ou de regarder une œuvre d’art porte atteinte à sa fonction originelle et l’enferme dans un cadre limité que n’avait pas prévu le créateur et dont elle ne peut sortir. C’est la condition de sa conservation. Si l’œuvre sort de ce cadre, c’est à dire si elle sort du musée, elle disparaît.


Les trois perceptions de l’œuvre d’art 

Commençons la visite de l’exposition et arrêtons-nous devant quelques pièces. « Ndebele » est un ensemble de  carrés de céramique colorés formant un tracé décoratif. C’est une œuvre reposante. Nous prenons conscience qu’il s’agit d’un objet du quotidien : un ensemble de céramique. Trois niveaux de lecture s’offrent à nous. Nous voyons une réalisation de l’artiste Bertrand Lavier ; nous voyons un mur de céramique ; nous voyons un tableau abstrait. 

« Le château des papes » est un tableau réalisé avec des carrés de mosaïques. Au premier regard, nous n’avons aucun doute. C’est un paysage fait de petits carrés de couleur, un paysage lumineux sous la lumière blanche. Puis nous devinons, car nous sommes dans une exposition consacrée à Bertrand Lavier, que celui-ci a imité un tableau pointilliste. C’est sympathique. 

Mais quand nous restons longtemps devant le tableau, le doute s’installe. A y bien regarder, nous ne voyons pas grand-chose. Il est presque impossible de reconstituer le paysage. Nous nous étions appuyé, comme toujours, sur le titre du tableau pour comprendre ce qu’il représente. Quelques traits, plus ou moins sombres, structurent cette étendue blanche. A force de regarder, nous croyons deviner le vrai sujet de l’œuvre : des bateaux, une étendue d’eau, un port. Ici encore, il y a trois niveaux de perception : le tableau pointilliste, le travail de Lavier, le paysage de bord de mer.


La peinture a une fonction, que ce soit sur les objets du quotidien ou sur les toiles artistiques 

Bertrand Lavier a repeint des objets (un piano, un réfrigérateur, un taille-haie, …) en respectant leur couleur d’origine et en laissant apparaître de grosses touches de peinture. Ces touches épaisses nous renseignent sur le fait que ces objets sont repeints. Sans l’épaisseur visible de la peinture, nous ne verrions pas l’intervention de l’artiste car ces objets sont déjà en partie peints industriellement.

Nous voyons aussi une toile déjà peinte par un artiste (François Morellet) sur laquelle Bertrand Lavier a peint à l’identique en grosses touches.

Avec « Vézelay », Bertrand Lavier a repeint un panneau indiquant l’entrée de la ville de Vézelay. Sur ce panneau se trouve un dessin de la ville avec la basilique et les toits des maisons. Bertrand Lavier peint à l’identique sur le dessin lui-même. Il n’a pas conçu ce dessin. L’intérêt de l’œuvre réside dans les grosses touches de peinture, non dans le dessin de la ville que Lavier imite.

Ces gestes illustrent le fait que la peinture industrielle et la peinture artistique ont une parenté, une similitude dans leurs intentions. Il s’agit de peindre pour donner une fonction à un objet ou une œuvre. La peinture sur un objet du quotidien le rend agréable à regarder. La peinture sur une toile artistique la rend agréable à l’œil et à l’esprit.

Ce qui intéresse Lavier, c’est l’apparence visible des objets, leurs surfaces, leurs couleurs. Et l’image que nous en avons. Nous reconnaissons un objet par la couleur de sa surface, nous reconnaissons que sa couleur est utile, particulièrement dans le cas des panneaux de signalisation. Ces travaux interrogent la façon dont nous identifions les couleurs. Les beaux-arts sont, entre autres, le domaine de la couleur. Mais la couleur est généralement au service d’une fonction qui la dépasse. Avec Lavier, la couleur de l’œuvre surpasse celle-ci. 


Les collectionneurs apprécient les œuvres d’art pour les intentions qui présidaient à leurs créations et qui ont disparu

Bertrand Lavier expose des objets montés sur un socle à la manière des statuettes africaines : un siège, un ours en peluche, etc. Ce sont des objets du quotidien, des objets usés. Pour Lavier, il est important que ces objets aient déjà servis. Il imite ainsi les attentions des collectionneurs de statues africaines. Pour qu’une statue soit intéressante, il faut qu’elle porte des traces d’utilisation et d’usure.

Le socle permet de sacraliser un objet, de lui donner un statut d’œuvre d’art précieuse. C’est ironique et émouvant de voir un objet du quotidien devenir inaccessible car offert à la vue de visiteurs de musée. Ces objets ont vécu, ils ont vieillis, ils étaient voués à disparaître. En conservant les œuvres d’art, nous les rendons immortelles.


Exposer une œuvre, c’est la sortir du milieu qui l'a fait naître pour mieux l’encadrer et l’enfermer

Bertrand Lavier a voulu briser l’unicité des œuvres, les faire vivre, exister. Ses travaux dérangent notre conception de l’œuvre d’art. Nous voudrions les enfermer, les cadrer, proposer une explication, la vision que nous en avons. Nous plaçons forcément une limite aux œuvres quand nous les exposons, les regardons ou les achetons. Tant qu’il y aura des amateurs d’art pour figer les œuvres, les artistes auront du travail pour dépasser cet enfermement du regard.

A la fin du parcours de cette rétrospective, nous arrivons à un faux musée créé par Bertrand Lavier et intitulé « Walt Disney productions ». Lavier a recréé les peintures et les sculptures dessinées dans le « journal de Mickey » du 2 janvier 1972 où Mickey visite un musée d’art moderne. L’installation est une mise en scène de musée, bien délimitée dans un espace clos derrière une vitre. Exceptionnellement, les murs ne sont pas blancs mais jaunes et verts. Pour nous, amateurs d’art bercés de références historiques et de concepts intellectuels, ce musée de bande dessinée n’a pas de vocation artistique. D’ailleurs le cartel explicatif, en dehors de l’espace de l’installation, rassure notre place de visiteur de « vrai » musée : « ces reproductions grandeur nature d’œuvres qui n’existent pas gardent les marques de leur univers fictionnel d’origine ».

Les commissaires du centre Pompidou n’ont pas osé enlever la limite entre les espaces muséaux réels et la proposition de Bertrand Lavier. Ils sont restés dans leur rôle. Par contre ils ont changé l’intention initiale en plaçant, également à l’extérieur de l’installation, des cartels qui concernent les deux sculptures de l’espace : « résine, peinture ». Il aurait fallu, pour être fidèle à l’artiste, placer ces cartels à l’intérieur de l’espace clos.

Les musées ont pour vocation à sortir de leur contexte des pièces qui n’étaient originellement pas conçu pour eux. Des pièces porteuses d’intentions d’artistes, de vies d’artistes, d’éléments personnels qui leurs sont associés et qui sont perdus lorsque nous les exposons et les regardons des années plus tard. Les œuvres d’art meurent aussi. Elles ont droit au repos éternel, embaumées dans un musée. C’est la condition pour que l’on se souvienne d’elles.

dimanche 2 décembre 2012

Aglaya Muravlov

Aglaya Muravlov montre ses vidéos intrigantes dans sa nouvelle installation « Tu verras » au Hangar de Marcel à Paris. 

Née à Saint-Pétersbourg en Russie, Aglaya Muravlov vit au Canada de 1996 à 2008. C'est là qu'elle se forme à la réalisation de films. Elle obtient un bachelor en production de films en 2000, et un master en direction de films en 2007. En 2008, elle s’installe à Paris.

Aglaya Muravlov réalise des vidéos et des installations multi-écrans. En 2000, la vidéo « Pyjamas » lui a valu d'être nominée au prix du meilleur jeune réalisateur au festival du film de Vancouver. Cette vidéo nous confronte à la solitude d’un père.

Depuis 2008, elle a présenté ses projections multi-écrans à Paris, au Hangar de Marcel, vaste atelier alternatif investit par l'artiste Laurent Godard. Citons notamment le film « bébé Rocamadour», une vidéo intimiste avec un homme nu allongé dans un espace chaud sur fond de musique orientale. « Moi et ma musique », réalisée en 2010, montre une femme et un piano, une scène minimaliste aux forts contrastes noirs blancs, où les ombres qui bougent figurent les rêves de la femme de jouer du piano.

Elle a fondé « La forge avg », un concept de studio de cinéma, et le collectif « newFactory Paris » qui réunit des artistes d’univers différents.

Avec « Tu verras », Agalay Muravlov interroge le statut de l’image. Dans l'espace Mona Lisa, on s’assoit dans un fauteuil face à un miroir. On se voit assis en train de se regarder. Nous sommes nous même l’image. Nous sommes l’œuvre d’art, en quelque sorte. Mais alors, qu’est ce qu’une œuvre d’art ? Une image. Une image que nous voyons.
  
Sur un mur blanc sur lequel sont accrochés des toiles de Laurent Godard, Aglaya Muravlov projette une vidéo montrant un couple dansant le tango devant une femme se trouvant dans un coin de la pièce. Qui regarde qui ? Qui est réel ? La femme dans le coin regarde les danseurs. La vidéo est projetée sur les tableaux. Nous regardons l’image de la vidéo. Nous n'avons pas le même niveau de perception de l’image de la vidéo et de l’image des tableaux.
  
D’après Aglaya Muravlov, ce que nous voyons est le produit de notre imagination, un produit de notre processus de perception. Pour notre culture occidentale, les images existent en tant que telles, elles ont une existence autonome. Ce sont des images de nous, mais qui n’ont pas notre personnalité. Les images sont aussi réelles que possibles, mais elles restent virtuelles. 

Nous leur donnons trop de pouvoir. C’est pourquoi nous devons nous regarder dans un miroir, pour prendre conscience de notre originalité et ne pas accorder trop de confiance aux images que nous pouvons générer.


Aglaya Muravlov
"Tu verras", Exploration des façons de percevoir surtout dans les miroirs

Exposition du 22 au 29 novembre 2012
Hangar de Marcel - Flateurville
24, cour des petites écuries
75010 Paris


newFactory Paris youtube channel :
https://www.youtube.com/user/laforgeavg?feature=mhee

newFactory Paris website :
http://amworldfilms.com


dimanche 25 novembre 2012

Serge Labégorre


Serge Labégorre, né en 1932 près de Bordeaux, expose ses peintures rigoureuses à la galerie Schwab Beaubourg à Paris. 

Serge Labégorre nous montre des peintures où le noir domine. Un noir synonyme de mort. Mais la mort n’est-elle pas la seule certitude que nous ayons ? Nous vivons avec elle. 

Il y a bien du rouge dans ces toiles. Le rouge peut évoquer la chair, la vie. Chez Serge Labégorre, c’est un rouge sang, un rouge d’horreur. 

Commençons notre visite avec des peintures représentant un ecclésiastique. « Cardinal aux gants blancs » montre un homme assis portant un habit rouge. Sur lui se trouvent des formes blanches. Le sol est vert, le fond noir. Les coulures dynamisent ce tableau sportif. 

Dans « Cardinal aux grandes mains », le personnage est plus calme. Son habit rouge n’est pas perturbé par d’autres formes. C’est un grand rectangle qui prend appui sur une bande ocre verte en bas du tableau. Au milieu, les mains sont jointes ; des mains aux traits marrons qui s’enlacent.

Passons à deux portraits de femmes. « Linette » est assise en face de nous, les bras croisés. Elle porte un gilet rouge vif devant le vaste fond sombre. Une œuvre très précise, pointue, acérée. 

« Edith », dont le corps est rose lumineux, flotte au milieu du rectangle marron de la toile. Mouvements très rapides, grands coups de pinceaux. Bas, haut, bas. Le dessin semble tracé extrêmement vite. L’artiste a battu le record de vitesse de peinture. 

Finissons avec deux tableaux plus inquiétants que les autres. « Grand crâne rouge » est abstrait, violent. Les gros traits noirs et le fond rouge évoquent la mort. Un quadrillage fait penser à une bouche de squelette.

« Crâne au tapis orange » montre les yeux du squelette tracés rapidement en blanc. Le fond des orbites est noir. Autour, du rouge. Tout est bouillonnant. La peinture ne recouvre même plus totalement la toile.


Serge Labégorre
Jusqu’au 5 janvier 2013

Galerie Schwab Beaubourg
35, rue Quincampoix
75004 Paris

dimanche 18 novembre 2012

Mircea Cantor


Mircea Cantor, né en Roumanie en 1977, montre ses travaux éthérés au Centre Pompidou à Paris jusqu’au 07 janvier 2013.

Wind Orchestra. Film HD 7". 2012.
Un enfant assemble trois couteaux sur une table en les faisant tenir debout. Puis il souffle dessus et les fait tomber. Il éloigne ainsi les lames menaçantes, les rendant inoffensives. Les couteaux dressés sont en équilibre instable. Le fait de souffler dessus pour les faire tomber est un moyen ingénieux de revenir à une situation plus sécurisée, plus quotidienne, moins artistique.

Epic Fountain. Epingles à nourrice plaquées or 24 carats. 2012.
Des épingles à nourrice dorées assemblées en forme d’hélice d’ADN. Œuvre immobile et muette, tremblant légèrement dans le vide ; œuvre métallique, inhumaine. De l’ADN de robot en quelque sorte. 

Don’t judge, filter, shoot. Béton et or, tamis, balles de fusil. 2012.
Des tamis faits de cercles de bois et de grillages sont assemblés en un grand cercle. A l’intérieur des tamis se trouvent des balles de fusil dont certaines sont dorées et d’autres grises. Cette œuvre filtre l'air, la vie, et ne retient que des balles, la mort. Sauf que, comme l’installation est accrochée au mur, celui-ci empêche tout passage d’air. Il masque un côtés des tamis, asphyxiant l’œuvre d’art. 

Sic Transit Gloria Mundi. Film HD 4’6". 2012. 
Un visage de femme, un bruit de tambour. La femme passe un fil de dynamite dans les mains de personnages accroupis en cercle. Lentement, elle dépose le fil dans les paumes des mains, avant de l'enflammer. L’arrière fond de cette vidéo est un mur blanc. La vidéo est elle-même un mur blanc, d’une certaine façon. 

Le travail de Mircea Cantor s’identifie aux murs blancs. Ses œuvres sont comme un grand monochrome blanc. Il s’y passe des choses de l’ordre du mouvement sensible flottant dans l’air. Mircea Cantor, ou l’esprit du mur blanc. 

samedi 10 novembre 2012

Le 59 Rivoli


Un amateur d’art parisien souhaitant visiter des expositions a le choix entre de nombreux musées et galeries, autant de lieux beaux et chics. Mais il existe un lieu différent, un lieu conçu avant tout pour les artistes et non pour les œuvres d’art, un ancien squat qui a été régularisé en 2009 : le 59 Rivoli.

L’histoire du lieu.

L’immeuble situé au 59 rue de Rivoli à Paris a été squatté dès novembre 1999 par des artistes. Il s’agissait pour eux de dénoncer les immeubles vides. Squatter un immeuble en centre ville, c’est le faire occuper par des personnes précaires, ayant peu de moyens, ne pouvant pas accéder à un logement facilement. Des gens de toutes origines, sexes, nationalités, vivent alors dans un quartier plutôt aisé. L’idée est de faire vivre un immeuble, même temporairement. Dans un immeuble vide, après les courants d’air viennent les pigeons, puis les squatteurs et enfin les nouveaux propriétaires. Le cycle se répète. Les squatteurs souhaitent gagner une liberté, un droit de vivre eux aussi dans cet immeuble cossu, et l’ouvrir au plus grand nombre. 

Les résidents du 59 Rivoli avaient dès le départ une intention artistique. Les plasticiens ont toujours eu de grosses difficultés à travailler, à trouver un atelier, à gagner un peu d’argent. Au sein d’une ville comme Paris où l’art plastique est dominé par les grandes institutions, les artistes précaires à la recherche d’un endroit pour vivre utilisent les squats comme atelier. Leur démarche est celle de prendre leur place, de prendre une place, une liberté, sans autorisation, sans attendre qu’elle soit fournie par la ville ou les institutions.

En 2001, plusieurs occupants vivent au 59 Rivoli. C’est le moment de la campagne pour les élections municipales à Paris. Le candidat Bertrand Delanoë fait la promesse de pérenniser ce squat, symbole d’une création plastique libertaire, alternative, résistante au monde de l’art contemporain tourné vers l’élitisme et le luxe. Les squatteurs font la démarche de pérenniser ce lieu et la mairie de Paris rachète l’immeuble. En 2006, le 59 Rivoli ferme pour rénovation et réouvre en 2009 en ayant signé un bail de location avec la mairie. Depuis, une trentaine d’ateliers d’artistes sont ouverts gratuitement au public. Le lieu organise des concerts et des expositions. 

Visite du 59 Rivoli. 

Allons visiter. On regarde d’abord, de l’extérieur, la façade de ce bel immeuble haussmannien aux décorations de branchages verts. De multiples fleurs factices sont accrochées aux balcons. Le soir, toutes les fenêtres sont illuminées, l’absence de volets et de rideaux donne une vie à cette autre « maison des artistes ». Les immeubles d’à côté, le long de la rue de Rivoli, sont bien plus sérieux avec leurs fenêtres noires et leurs murs nus. Entrons et montons dans les étages : l’escalier est très décoré, les marches peintes. Sur le mur, un grand dragon est dessiné joyeusement avec des écailles et des longs poils. Suivez les écailles pour monter. A chaque palier, les murs sont recouverts de personnages. Au quatrième étage, une sorte de gros génie préhistorique nous attend. On se croirait en plein délire chamanique. 

Deuxième étage. Le musée Igor Balut est un capharnaüm d’objets dans tous les sens : cintres en bois, tableaux encadrés, cage à oiseau, tissus suspendus au plafond, vieux hamac,  valises, photos, dessins, tickets de métro, cartons. L’ensemble est chaud, d’une couleur bois patiné. Quelques lumières percent à travers les affaires entassées au sol et celles qui pendent du plafond. Dans ce musée, de multiples objets sont à découvrir, les œuvres sont à chercher, à dénicher. 

Les intentions artistiques.

Les artistes du 59 Rivoli ne sont pas regroupés dans un collectif, ils n’ont pas de démarche artistique commune. Ils ne déclarent pas appartenir à un mouvement ou à une école. Chacun a ses propres influences, ses propres recherches. On retrouve pourtant quelques similitudes, d’abord parmi les artistes squatteurs en général,  mais aussi chez les résidents actuels du 59 : l’idée que l’art est démocratique et accessible à tous. Travailler dans un immeuble, dans une grande ville, peut influencer certains travaux, avec un regard sur la cité qui consomme, qui rejette (les biens et les personnes). Le lieu précaire est une étape entre la vie dans la rue et l’hébergement stable. L’immeuble vide, que l’on investit, inspire et nourrit les artistes, veilleurs d’humanité et de justice sociale.  

La place du 59 Rivoli parmi les lieux d’art parisiens.

Les galeries ont tout intérêt à cadrer, à encadrer les œuvres qu’elles exposent. Il s’agit de mettre en scène une exposition dans un lieu le plus beau possible. Les musées doivent délimiter leurs œuvres. Il faut que la frontière soit très nette entre celles-ci et les visiteurs. Ils payent pour voir de l’art, il doivent en voir de façon précise. Dans les ateliers du 59 Rivoli, pas de belles mises en espace, pas de beaux accrochages. C’est plutôt l’inverse. Ici, nous sommes chez les artistes. Ce lieu est fait pour qu’ils puissent travailler. L’accès est gratuit, les œuvres ne sont pas à vendre, les artistes sont présents. On entre dans l’intimité de la création des tableaux, sculptures et installations. Parfois, nous voyons une peinture en train de se faire. Cela dédramatise l’œuvre, la rend plus accessible, plus compréhensible. 

Perspectives d’avenir. 

Cet endroit reste précaire. Il a peu de moyen, il rayonne peu, est ignoré des circuits officiels de l’art contemporain. Mais l’enthousiasme et le dynamisme sont là. Les galeristes étrangers, qui semblent plus ouverts aux pratiques alternatives, portent plus d’attention au 59 Rivoli que les français. Les artistes du 59 ne sortent en général pas des écoles d’art. Ils ne sont pas formatés. Ils sont plus bruts, de moins bonne qualité parfois (à mon avis), ne cherchent pas à se fondre dans le moule des concours. 

Quel commissaire organisera une exposition des travaux du 59 Rivoli ? Les résidents se déplaceront-ils à l’étranger ? Pour l’instant, ils sont préoccupés par le renouvellement de leur bail, mais si cela ne devait pas arriver, ils résisteront. Ils savent faire. 


59, rue de Rivoli
75001 Paris
http://59rivoli.org

dimanche 4 novembre 2012

"L’œuvre d’art et ses significations" de Erwin Panofsky


Erwin Panofsky (1892 – 1968) est historien de l’art. Il a étudié les symboles dans les peintures de la Renaissance et principalement dans la peinture nordique. « L’œuvre d’art et ses significations », publié en 1969, est un recueil d'écrits sur l'histoire de l'art. 

Dans ce livre, il définit d'abord ce qu'est l'histoire de l'art. Puis il étudie les changements dans la conception des œuvres à la Renaissance, avec l'exemple de travaux d’Albert Dürer et du Titien. L'idée d'humanisme est née à la Renaissance. L'humaniste travaille avec les données du passé en y posant un regard critique. Les œuvres du passé, ainsi que les documents concernant ces œuvres, forment un tout qu'il faut évaluer dans son ensemble. Il y a toujours deux dimensions dans un objet d'art : une dimension pratique, fonctionnelle, et une dimension esthétique. Ces deux dimensions sont plus ou moins marquées selon les intentions du créateur mais aussi du spectateur. L'histoire de l'art a pour tâche de faire revivre les œuvres du passé. C'est une différence avec la science qui explique les changements. 

L'histoire des proportions du corps humain

Dans l'Egypte pharaonique, Les Egyptiens utilisaient un canon de proportion figé, fixé à l'avance, pour représenter leurs figures humaines. Au contraire des Egyptiens, les Grecs antiques n'ont pas de système de proportion rigide. Ils ont bien un système de relation entre les parties du corps humain, mais dans les sculptures grecques classiques, la place est laissée à l'interprétation du sculpteur, notamment concernant l'harmonie de l'œuvre, les raccourcis de certaines parties et, pour les grandes sculptures en hauteur, la possibilité de grossir une partie éloignée du spectateur. L'art médiéval utilise des structures schématiques de représentation des têtes et des corps, faites de cercles concentriques, de losanges, de triangles, de carrés. A la Renaissance, les peintres théoriciens comme Alberti, Dürer et Léonard de Vinci cherchent à préciser les proportions des corps humains en se fondant sur des données scientifiques et la mesure de vrais corps. Après la Renaissance, les artistes se désintéressent de l'étude des proportions humaines, trop systématique. 

Le changement du concept des œuvres d'art à la Renaissance

A la Renaissance, l'ambition des dessinateurs change. La recherche de la magie des volumes, la beauté des traits de crayons, la création d'une troisième dimension virtuelle et envoûtante  la force des émotions exprimées, font qu'un nouvel univers conceptuel, intellectuel et artistique voit le jour. L'œuvre entraîne le spectateur malgré lui dans l'admiration. Certains historiens contestent que la Renaissance ait été synonyme de progrès. La Renaissance a tendance à se perdre dans des systèmes de pensée néo-platoniciens. On peut cependant affirmer qu'elle a aidé à un élargissement de l'horizon artistique avec l'aide des sciences. Cette période a rompu avec beaucoup de croyances issues de l'Antiquité. Elle a fait la synthèse de plusieurs disciplines et a ouvert la voie aux spécialisations. L'art et la science se sont dissociés.

Les exemples de Dürer et du Titien

Erwin Panofsky pose la question suivante : en Europe du Nord, les artistes de la Renaissance, et Albert Dürer en tête, ont-ils redécouvert l'Antiquité à travers l'art italien de leur temps, ou directement en voyant des statues antiques ? Erwin Panofsky montre que Dürer a été influencé par une gravure italienne de son temps, et non pas par quelque sculpture antique qu'il aurait vu directement. Concernant les gravures ayant pour thème "le Soleil Justicier" où l'on voit un homme, le Christ, la tête entouré de flammes comme un soleil, Panofsky montre que Dürer s'est inspiré de croyances très présentes à la fin du Moyen-Age. Dürer s'est référé à des gravures italiennes du 15ème siècle pour réinterpréter l'Antiquité. Ces gravures italiennes avaient pour modèles des œuvres antiques qu’elles ont réinterprétées au goût italien du 15ème siècle. Selon Panofsky, les artistes de la Renaissance d'Europe du Nord n'auraient pas pu comprendre les statues antiques directement. C’est grâce aux les Italiens que les Allemands et les Hollandais accèdent à la compréhension de l'Antique. 

En Europe du Nord, dans les gravures de la Renaissance voulant imiter l'Antique, on trouve des éléments copiés d'œuvres de Dürer. Ce qui signifie qu’Albert Dürer était considéré comme une référence pour l'art de style classique. 

Panofsky analyse un tableau du Titien : la Prudence. A la Renaissance, les artistes reprennent ce thème antique du monstre tricéphale (têtes de loup, lion, chien) qui, avec le serpent, représente la Prudence et le Temps. Les artistes reprennent ce thème sous la forme d'un serpent à trois têtes d'abord, puis d'un quadrupède à trois têtes entouré d'un serpent. Ce monstre n'est plus lié au dieu égyptien Sérapis, comme dans la basse antiquité, mais à Apollon, dieu latin et grec. Le thème des trois têtes a eu une grande fortune dans les gravures et ornementations des 16ème et 17ème siècles. En conclusion, et pour revenir au tableau du Titien, Panofsky conclue qu'analyser un tableau n'est pas seulement le décrire, c'est aussi rechercher les sources de ses thèmes et sujets. 


Erwin Panofsky, L'œuvre d'art et ses significations, Paris, Gallimard, 1969

dimanche 28 octobre 2012

Adel Abdessemed


Adel Abdessemed, né en 1971 en Algérie, réalise des sculptures qui évoquent l’absence et le vide. Elles sont actuellement visibles au centre Pompidou à Paris.

« Joueur de flûte », projection vidéo 30 minutes en boucle, 1996. Un  homme nu joue de la flûte. Il marque le tempo avec ses pieds. La flute comme organe sexuel, voilà ce que l’on retient de cette vidéo. L’expression artistique comme activité sexuelle. C’est grand et minimaliste, avec ce large fond uni. La musique est simple, répétitive, et laisse le champ libre à toutes les interprétations. C’est très généreux. 

« Bourek », fuselage d’avion, 2005. Un morceau de carcasse d’avion replié sur lui-même. L’objet est blanc, chic malgré son caractère abîmé et déchiqueté. L’ensemble est ramassé sur lui-même au moyen d’une sangle bien visible. C’est le cadre de l’œuvre. La sangle unit cette sculpture, la calme, lui donne la noblesse des œuvres d’art. 

« Wall drawing », fil de fer barbelé à doubles lames, 2006. Neuf ronds de fil de fer barbelé sont alignés sur un mur. Ce sont neuf roues tranchantes. L’œuvre nous dépasse mais nous la regardons de loin. Nous sommes dans un musée, où la distance entre les spectateurs et l’œuvre d’art est infranchissable. Infranchissable dans le temps (l’œuvre a été créé il y a plusieurs années), dans l’espace (face à ces grands murs blancs, le spectateur doit reculer pour tout voir), dans la rencontre avec l’artiste (inaccessible célébrité de l’art contemporain). 

« Décor », fil de fer barbelé, 2011 – 2012. Quatre sculptures du Christ, les bras écartés, la tête tombant de côté, la bouche ouverte. Ces sculptures sont réalisées avec du fil de fer barbelé. On n’aurait pas mieux pu traduire la souffrance du Christ sur la croix. Un Christ métallique, déshumanisé. Son corps est en fil de fer coupant. On voit à travers, pourtant il semble bien y avoir encore une trace de vie.

Le travail d’Adel Abdessemed est marqué par la mort, le sexe, l’absence de l’autre. Ces œuvres  sont dangereuses, à manier avec précaution. Elles sont fortes et très puissantes. C’est inquiétant, excitant, grisant. Heureusement que les œuvres d’art ne sont que des illusions d’optique. 


Adel Abdessemed
« Je suis innocent », jusqu’au 7 janvier 2013
Centre Pompidou, Paris

lundi 22 octobre 2012

Le salon d'art de Pontoise


Le salon d'art de Pontoise, qui s’est tenu du 6 au 14 octobre 2012, a montré une série de peintures toutes plus achevées les unes que les autres. On a pu apprécier la qualité des peintures à l’huile, la grande maîtrise technique des artistes, l’extraordinaire aboutissement des tableaux, la poésie sensible, riche et colorée qui s’en dégage. 

André Maigret, « Sous le signe du poisson ». Ici, nous avons des poissons en grisaille, notamment des têtes de poissons. En bas de la toile, un sol peint en aplat bleu-vert tranche avec les longues virgules rouges, ainsi  qu'avec la chaise rouge qui déborde de poissons. Des personnages sont là : une femme debout, une autre les jambes repliées, des têtes, des masques. Dans cet univers bizarre, les poissons gris envahissent la peinture. En haut du tableau, un coin peint en ocre nous permet d’espérer un retour de la peinture habituelle. 
André Maigret peint des animaux qui envahissent ses tableaux. Ce sont des mondes anarchiques où l’homme n’a plus sa place. La peinture non plus n’a plus sa place, il n’y a plus de couleur. Seule reste une technique en grisaille, avec quelques traits rouges. André Maigret réalise des visions pessimistes, sur le fond et sur la forme.  

Vincent Couppey, « Les bouquinistes ». C’est une journée ensoleillée au bord de la Seine devant un étalage de bouquiniste. Une péniche passe sur l’eau verte. Au fond, le pont neuf et ses volumes vibrants. Les carrés géométriques des bâtiments qui s’éloignent à l’horizon font écho aux multiples carrés des livres alignés au premier plan. Un tableau très structuré avec de forts traits qui donnent une assise aux aplats lumineux. 
Vincent Couppey peint des vues de villes ensoleillée avec un dessin géométrique. Ses peintures sont chaudes, elles expriment la chaleur des immeubles.

Yannick Sauvage, « Nature morte – série Boîtes 14 ». Dans une atmosphère grisée et floutée, l’artiste a peint des boîtes sur une table. Une lumière les éclaire de côté projetant des ombres et donnant du volume à l'ensemble. Ces boîtes sont comme les buildings d’une ville que l’on survole. Une ville dans le brouillard, mystérieuse et attirante. Les nuances de couleurs sont délicates, toujours dans les tons ocres : une boîte rouge, une jaune plus haute, une bleue plus large. 
Yannick Sauvage joue à un jeu de construction en faisant une composition avec des boîtes. Ses peintures tendent vers l’abstraction. 

Jean-François Grebert, « L’île de l’Espoir ». Un homme dans une barque perdue sur une mer sombre. Il rame vers une île, un rocher escarpé rouge dont le haut porte un peu de végétation. La scène est entourée de lourds nuages. Au fond, dans une éclaircie, une haute montagne apparaît, laiteuse. Ce tableau raconte une histoire. Un homme seul affronte les éléments dans une nature austère. 

Jean-François Grebert, « La cascade ». Un immeuble en ruine dont le bas est effondré. La végétation a envahi le quartier. L’eau également, avec une cascade tombant dans un lac au pied de l’immeuble. La nature reprend ses droits, l’architecture se délite petit à petit.


Deux questions à Jean-François Grebert : 

Vous semblez représenter la perte de l’homme, sa petitesse face à la nature. Est-ce que vos peintures sont pessimistes ? Souhaitez-vous exprimer la faiblesse de l’humanité

C’est plus vrai pour le tableau avec la tour. Cela peut effectivement être une vision pessimiste. Mais moi, j’y vois quelque chose de plutôt positif car la nature reprend ses droits. Cela traduit mon état d’esprit plutôt solitaire. C’est l’expression de ce que j’ai au fond de moi. L’autre tableau est plus personnel. Il exprime un sentiment personnel de se sentir isolé. 


Sur la forme, votre peinture est très finie, très réaliste, chaque détail est dessiné. Vous souhaitez vraiment dessiner chaque détail, aller au bout d’une représentation réaliste ? 

J’aime beaucoup le réalisme. C’est important pour moi. J’ai toujours appris à travailler avec précision, notamment lors de mes études d’art graphique. J’aime le rendu réaliste. Cela me permet de retranscrire certaines atmosphères. 



Chantal Lorio, « Saint Germain des Près ». C’est la nuit. Deux personnes s’éloignent dans les rues du quartier de Saint-Germain-des-Prés. Sur les façades des immeubles, les lampadaires éclairent la scène de plusieurs ronds lumineux laissant le reste du tableau dans l’obscurité. A travers les vitres des fenêtres, nous voyons l’intérieur éclairé des maisons. Les plaques aux noms des rues sont de forts marqueurs sombres dans les ronds de lumière.

Chantal Lorio, « Transparence ». Dans une lumière blanche éclatante, une femme est debout. Nous voyons sa silhouette noire en contre-jour. Elle porte un fin tissu transparent dont les ondulations captent la lumière Elle semble encadrée par deux draps noirs dont les plis attirent eux-aussi la lumière blanche. C’est une œuvre cubiste, non seulement par les plis carrés, la composition générale géométrique, mais aussi par notre hésitation face à la silhouette dont on se sait trop si elle est de face ou de dos. 


Deux questions à Chantal Lorio : 

Les lumières et les ombres jouent un grand rôle dans vos tableaux. Pourquoi ? 

A cause de mes souvenirs d’enfance. Avec les ombres, on peut s’amuser, on peut créer des atmosphères. On peut augmenter la rêverie, déformer des choses. 


Dans vos tableaux, nous voyons toujours les personnages de dos, qui s’éloignent. Qui, ou quoi, laissez-vous s’éloigner dans vos tableaux ?

J’ai peint ces toiles à un moment dans ma vie où je me sentais abandonnée. C’est peut-être moi qui me trouvais dans l’ombre et qui voulais aller vers la lumière. 


samedi 13 octobre 2012

Michel Graff


Né à Paris en 1938, Michel Graff réalise des peintures brillantes et vibrantes. Elles sont actuellement visibles à la galerie Médiart à Paris.

« La marionnette au chapeau », acrylique sur toile, 92 * 73 cm. Des formes colorées, des bleus froids entourées de blancs. Il y a des traces d’ocre verte, des gris, des présences blanchâtres. Les formes sont peintes en superposition de couches transparentes. Il y a des traits blancs qui dessinent un chemin comme si c’était un paysage abstrait. En haut du tableau, on a un ciel d’hiver. 

« Le sage assis », acrylique sur toile, 130 * 97 cm. Encore des formes bleues, mais plus marquées, plus grosses, elles se touchent. Leur bleu est plus profond, plus lourd. Il y a toujours de petits chemins blancs dans cette grande toile. Ici, c’est l’été avec des bleus et des verts chauds. 

« Devant la coiffeuse », acrylique sur toile, 81 * 65 cm. Un tableau rouge vif. Si c’est un paysage, c’est de la lave qui sort d’un volcan. Une lave saturée de rouge orangé brillant. 100 % pur orange. La peinture bout dans son cadre. Il y a des volumes comme des murs en perspective : des surfaces blanches à l’avant (en bas du tableau) et à l’arrière (sur le bord haut). Une lave d’intérieur en quelque sorte. 

« Gris sourire », acrylique sur toile, 146 * 114 cm. On passe au gris. Gris vert et ocre. Quelques traits noirs tracés sportivement dynamisent la toile. On croit deviner les deux carreaux d’une paire de lunette. Le format de la toile l’assagit, elle a grandi, elle a mûri. Il y a des formes grises colorées qui s’étendent dans ce paysage d’un certain chic. Sur la ligne d’horizon, un grand rectangle allongé, la force tranquille. 


Trois questions à Michel Graff : 


Nicolas Goulette : Je vois des paysages dans vos tableaux. Est-ce que ce sont des paysages pour vous ? Qu’est-ce qui vous inspire dans vos compositions ? 

Michel Graff : J’ai fait des études artistiques et quand j’ai commencé, je ne faisais que du figuratif. De 28 à 30 ans, mon figuratif a beaucoup évolué. Et à 30 ans je me suis dit : « si c’est pour faire ça, autant faire de l’abstraction ». Aujourd’hui, 40 ans après, quand je commence une toile, c’est l’aventure. Je ne me raccroche à rien. La vérité se trouve là. La vérité, c’est simplement ce que j’ai vécu, ce à quoi j’ai pensé, ce que j’ai vu. Si je donne des titres à mes toiles, ils sont personnels. Quand on fait ce genre de peinture, il ne faut pas enfermer le regardeur dans quelque chose de très précis. Donc les titres sont évasifs.

Si les gens ne voient pas le rapport entre la toile et le titre, cela ne me gêne pas du tout. Vous voyez des paysages, d’autres personnes voient autre chose. C’est vrai que les paysages, c’est ce qui saute aux yeux tout de suite. On a envie de voir des paysages.


Vous utilisez les trois couleurs primaires alternativement sur chacun des tableaux, avec le rouge sur les petits formats, et le bleu et le jaune sur les grands formats.

Oui, mais ça c’est valable pour cette exposition. J’ai fait un grand tryptique rouge qui fait 3,60 m de long sur 1,70 m de haut. Ici, Le rouge ne s‘y prêtait pas. Le rouge vous saute à la figure. Le bleu repousse un peu les choses . Comme ce n’est pas très grand, le bleu s’imposait. 

Mais lorsque je peins, je ne pense pas à tout ça. Il y a une chose que je ne m’explique pas, c’est pourquoi j’ai une toile d’une certaine couleur. La toile me pose des problèmes que je veux résoudre. Tout est bon pour résoudre ces problèmes, et c’est après que je m’aperçois qu’elle est bleue, jaune ou rouge, mais au départ, ce n’est pas ce que je recherche.

Il y a un mystère dans ce genre de chose, c’est très ancré. Ce n’est pas que je ne veux pas expliquer, mais je ne peux pas, je ne cherche pas. Maintenant, vous voyez ce que vous voulez. D’ailleurs, il y a une toile que j’ai appelé « Comme il vous plaira » (elle n’est pas dans l’exposition). Je comprends très bien que la personne passe et ne s’arrête pas. Mais si elle s’arrête, elle commence à se poser des questions et cela devient sa toile. 


Quel grand maître de la peinture vous plait le plus ? 

Tous. Tous ceux qui font du bon boulot. Aussi bien ceux qui datent du 15ème, 16ème et 18ème siècle voire du 20ème siècle. De toute façon, on s’appuie sur ce qui a déjà été fait. Comment les renier ? Je suis en train de lire un bouquin sur Gauguin et à l’époque, les artistes s’écrivaient entre eux, il n’y avait pas le téléphone. On a toutes les lettres de Gauguin qui écrivait à un de ces amis. Et ce qu’il disait de son travail, c’est un appel à l’abstraction. Le sujet est un prétexte à faire des formes de couleur. Pour Gauguin, cela représentait des vahinés, des paysages de Bretagne. Le côté suggestif, anecdotique, il n’existe plus aujourd’hui. On n’en a plus besoin. 

Chaque siècle à des tendances différentes. Je ne renie pas ce qui a été fait avant. Un gars que j’aime beaucoup, c’est Vélasquez. Ce serait ridicule aujourd’hui de faire du Vélasquez. Aujourd’hui, c’est ça. C’est une organisation de taches, de lumières, de rythmes, qui n’est pas aidé par l’anecdote. Cela ne représente rien. C’est à vous de choisir, et si cela ne vous dit rien, je suis désolé. 





Michel Graff – Peintures
Jusqu’au 20 octobre 2012

Galerie Médiart 
109, rue Quincampoix
75003 Paris
http://www.galerie-mediart.com/

samedi 6 octobre 2012

Bertille Bak


Bertille Bak, née en 1983 à Arras, montre actuellement ses travaux au Musée d'art moderne de la ville de Paris. Elle réalise des vidéos dans lesquelles les personnages, confrontés à de dures réalités, s’en sortent par des moyens touchants et drôles auxquels on ne s’attend pas.  

Regardons, ou touchons, trois œuvres de Bertille Bak : 

« Notes englouties », 2012, acier, plexiglas, dispositif électronique, impression sur papier.
Sur cinq panneaux sont reproduit les plans du métro de cinq capitales européennes. On peut choisir sa station de départ et sa station d’arrivée. L’itinéraire s’illumine alors et on entend le bruit de la ligne de métro correspondante. C'est une installation visuelle, tactile (on appuie sur les boutons aux noms des stations) et sonore. On est dans le métro, dans un métro en Europe. On voyage virtuellement par le son. 

« O quatrième », 2012, vidéo 17 minutes.
On rencontre Marie-Agnès dans cette vidéo. C'est une sœur du couvent des Filles de la Charité à Paris. Elle nous fait visiter le bâtiment. Grâce à l’ascenseur,  on monte au quatrième et dernier étage, où se trouve son appartement. Les sœurs les plus vielles sont en effet logées au dernier étage, le plus proche du ciel. On suit sœur Marie-Agnès qui raconte ses loisirs, la confection de bouchons habillés de tissus. A la fin de la vidéo, elle emprunte un dispositif de monte-chaise le long d’un mur, une façon de se rapprocher du ciel. L’ascension joue un grand rôle dans cette vidéo. On monte les étages vers le ciel, crainte et aspiration des sœurs. 

« Transports à dos d’hommes », 2012,  vidéo 15 minutes.
Bertille Bak nous emmène dans un camp tzigane à Ivry sur Seine en région parisienne. Avec en arrière-fond des trains de banlieue qui passent, un garçon déploie sa caravane. Il pose les bouchons en liège qui protègeront de la chaleur et des insectes. Puis il installe dans la caravane un plan du métro parisien dont il illumine un trajet. Le son de la ligne de métro se fait alors entendre et deux musiciens, dans la caravane, se mettent à jouer de la musique, à l’instar des musiciens qui jouent dans les rames du métro. Même si nous voulions leur donner une pièce, nous ne pourrions pas, premièrement parce qu’ils ne sont pas vraiment dans le métro mais dans leur caravane, deuxièmement parce que nous même ne sommes pas dans le métro mais au musée d’Art moderne. 

Le travail de Bertille Bak est toujours cocasse, gentiment dramatique. Elle nous raconte des histoires faites de drames quotidiens de façon drôle, touchante et amusante, en éludant des réalités plus inquiétantes. Ces réalités, on ne les voit pas, on préfère rester dans les expressions enfantines. Le travail de Bertille Bak est donc une réflexion sur sa pratique même. Dans ses vidéo, elle montre des personnages qui sont dans un monde rêvé pour ne pas voir leur dure condition. En fait, l’artiste, et par extension les spectateurs que nous sommes, avons aussi ces comportements enfantins quand nous regardons les vidéos. Face aux œuvres de Bertille Bak, nous échappons, pour un temps, à notre inquiétante condition.  

Bertille Bak nous montre une voie originale de regarder des œuvres d’art : nous jouons en regardant les personnages de ses vidéos en train de jouer. Nous nous prêtons au jeu. Nous manipulons les plans lumineux des métros européens. On joue à visiter les capitales européennes. Comme quand on regarde un dessin animé, avec Bertille Bak, nous assistons aux aventures de personnages sympathiques et attachants. N’avons-nous pas envie, nous aussi, de réagir de cette façon drôle et décalée, avec l’ironie du désespoir ?



Bertille Bak
Circuits
Jusqu'au 16 décembre 2012
Musée d'art moderne de la Ville de Paris

lundi 1 octobre 2012

Ciro Rizzo


La galerie parisienne Marie Vitoux expose les œuvres de Ciro Rizzo, né en Italie en 1955.

« Sans titre », encre et fusain sur papier. C’est une pâle figure qui sort du fond noir. Une tête et une main se devinent, rudement traitées à l’encre. Une apparition fantomatique dans le noir. Le papier gondole sous le grand aplat à l’encre. C’est rugueux et ardu.

« Sans titre », encre et fusain sur papier. Encore un portrait dans le noir. Une femme baisse les yeux, la bouche pincée. Dans ce dessin se trouve une tension accentuée par le fait que les bords du papier sont laissés en blanc, avec les traces du pinceau qui sortent de l’aplat noir. 

« Arbre », peinture sur toile. Une peinture bien pâteuse avec de gros verts. C’est un arbre froid au tronc gris qui se  reflète dans une étendue d’eau.  La peinture est étalée et raclée. C’est musclé, cela a de la personnalité. Une apparition dantesque d’un arbre sur un lac. 


Ciro Rizzo
Exposition jusqu’au 27/10/2012
Galerie Marie Vitoux
3, rue d’Ormesson
75004 Paris

samedi 22 septembre 2012

Valérie Favre

La galerie parisienne Jocelyn Wolff expose les peintures nocturnes de Valérie Favre, née en 1959 en Suisse.
 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 160*150 cm) est un paysage lunaire. Nous sommes dans la nuit. Il y a de multiples petits traits blancs comme des étoiles brillant dans le ciel noir. En bas, vers la ligne d’horizon, une illumination blanche. Le sol est défini par une bande grise au bas de la toile. Il n’est pas plat, il y a des reliefs sombres. Silence dans la nuit. Tel pourrait être le titre de ce tableau. Mais aussi Violence dans le ciel. Les astres bougent, dansent en traînées blanches. L’artiste, spectateur de l’univers, de l’art, immense.
 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 155*170 cm). Ce tableau est moins lisible que le premier. Il y a toujours le fond noir, les astres qui bougent en longues traînées. Certains sont gros, peints en épaisse peinture blanche. Il y a toujours une illumination au centre de la toile. Mais il n’y a plus de sol. Nous flottons dans l’abstrait. Il y a des touches blanches qui tombent vers le bas du tableau.
 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 255*155 cm). Ici, c’est plus grand, plus calme, plus apaisé. La hauteur de la toile dépasse la taille humaine. Elle est noire avec quelques points blancs sages. L’illumination est toujours là au centre comme une profondeur infinie. C’est une nuit non seulement silencieuse mais aussi vide. Cette toile est presque un monochrome. Elle en a le calme, la sérénité, l’intériorité, le mystère.
 
« The dinner from Goya » (collage, encre de Chine, aquarelle, acrylique sur papier, 24,5*34 cm). Sur de multiples fragments de papiers découpés, l’artiste a dessiné un mouvement circulaire à l’encre noire. Il y a des animaux qui courent autour d’un espace à fond noir où deux ou trois personnages batifolent. Il y a une carte météorologique qui nous ramène à la réalité avec un peu de logique quotidienne dans ce monde d’illusions artistiques.
 
 
Valérie Favre a bien voulu répondre à nos questions. Nous l'en remercions.
 
Nicolas Goulette : Avec ces toiles, je trouve que vous vous rapprochez de toiles monochromes, par rapport à votre travail précédent. Est-ce le monochrome est quelque chose vers quoi vous avez envie d’aller ?

Valérie Favre : Vous n’avez pas tout à fait tort, mais ce n’est pas forcément le monochrome. C’est quelque chose de low. Low, c’est moins de matériel, quand on connait mon travail. C’est arriver à des choses plus calmes, noir et blanc. A un moment donné, j’avais envie de me poser la question, après 30 ans de peinture  derrière moi, j’avais envie de m’interroger sur ce qu’est le noir et blanc. Comment c’est possible de traduire des images, parce que ce sont quand même des images, mais ce sont des images en peintures qui prennent un temps fou, ce ne sont pas des images internet. C’est pour cela peut-être, parce que c’est plus calme, noir et blanc, qu’on a cette impression de monochrome. Mais ce n’est pas vraiment du monochrome  parce que chaque étape est faite avec des tas de couleurs, des tas de profondeurs, qui sont beaucoup liées au hasard. La forme n’est pas décidée.
 

Je trouve que ces tableaux sont nocturnes, qu’ils expriment l’immensité de la nuit, avec à chaque fois une blancheur au milieu qui parait infinie. Est-ce que cette blancheur est pour vous infiniment lointaine ? Est-ce qu’elle évoque une présence artistique ?
 
Oui il y a quelque chose de mystérieux. Quand je suis avec mes étudiants à Berlin, je leur dis « je cherche du mystère dans vos tableaux ». C’est ce que je cherche quand je travaille. C’est essayer que chaque tableau que je fais soit quelque chose qui vienne un peu de très loin, des profondeurs. Et c’est quelque chose qui n’est pas décidé au sens « je veux peindre une fleur, ou peindre un visage ». C’est le visage qui vient, ou c’est la fleur qui vient. Ou c’est la forme, parce que dans ces tableaux, cette nouvelle série noire, parce que c’est assez sombre - ce n’est pas sombre négatif -, je positionne des formes qui interviennent avec des encres.
C’est un très long travail. Cela prend plusieurs mois pour le faire, couche par couche. Il y a beaucoup de couches, on ne dirait pas. C’est comme le travail du monochrome, parce qu’un vrai monochrome est fait aussi avec énormément de couches de peinture. Et là il y a un moment magique qui se passe. Et ce moment magique, c’est à moi de le capter, de dire : « ouais, c’est ça ». Après, il y a d’autres procédures avec la peinture à l’huile qui viennent des perturbations comme des espèces d’univers.
 

Dans le dessin « The dinner from Goya », on retrouve une évocation scientifique avec une carte météorologique. Est-ce que il y a aussi une évocation scientifique dans ce que j’appelle ces ciels étoilés avec une évocation de l’astronomie ?
 
Oui, quelque part, mais c’est vous qui le voyez. Moi je n’ai pas décidé cela. Ces toiles sont des fragments. Tous ces tableaux que vous voyez sont des fragments d’une pièce imaginaire, d’un immense tableau qui serait un univers fictif comme la cosmogonie. Vous avez ici cinq tableaux qui pourraient être le premier début de grain de sable d’un immense univers qui n’a pas de limite.
 
 
 
Valérie Favre
Fragments
Jusqu’au 3 novembre 2012
 
Galerie Jocelyn Wolff
78, rue Julien-Lacroix
75020 Paris
 
 

 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 160*150 cm)


 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 155*170 cm)
 

 
 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 255*155 cm)
 
 
 
« The dinner from Goya »
(collage, encre de Chine, aquarelle, acrylique sur papier, 24,5*34 cm)
 

samedi 15 septembre 2012

Camille Henrot

La galerie parisienne Kamel Mennour expose actuellement les ikebanas de Camille Henrot. Ces compositions florales issues de la tradition japonaise sont ici l’occasion d’un dialogue avec la littérature. Camille Henrot a réalisé ses sculptures végétales en se laissant guider par les livres de sa bibliothèque. Arrêtons-nous devant trois œuvres composées d’après des titres de J.R.R. Tolkien, Marguerite Duras et Daniel Defoe.
 
« Le seigneur des anneaux » (gingembre rouge) : des tiges végétales sont assemblées en formant des sortes de lettres. Sur les murs de la galerie peints en beige clair, l’installation qui s’étend sur deux murs et un bout d’un troisième est douce, apaisante, minimaliste. C’est un travail littéraire. On croit deviner des mots. Ici, le médium se situe au même niveau que l’encre d’imprimerie pour les livres : il s’efface derrière un sens rêvé.
 
« Un barrage contre le Pacifique » (buddleia de David, bambou, lanterne japonaise, orchidée, papillon) : sur une grosse branche de bambou suspendue horizontalement, l’artiste a disposé de fragiles fleurs jaunes et oranges. Les fines brindilles de bois qui s’en échappent dansent autour de la branche. L’une d’elle s’aventure même jusqu’au sol, dessinant une trame délicate. Dans cette exposition où les murs sont gris et le sol blanc, les œuvres ne sont pas accrochées aux murs, mais sont posées au sol, ou du moins le touchent. 
 
« Robinson Crusoé » (bois flotté, aubépine, palmier de méditerranée, palmier d’arec, conifère, châtaigner, marronnier, papier journal, éléments de construction) : une œuvre plus construite que les autres qui s’étend par terre sur un large rectangle. Les feuilles de papier journal en sont la base. Dessus, différents objets sont agencés dans une composition digne d’une peinture abstraite. Des pierres, des morceaux de bois, souches d’arbres, planches peintes en rouge ou jaune, des outils métalliques sont mis à contribution. A l’arrière de la plage, car le papier jaune ressemble à du sable, se trouvent un seau bleu, un filet en plastique, un tube de cuivre. Au dessus, deux barres métalliques noires. Cette installation fait bien penser à l’univers de Robinson Crusoé. Nous sommes sur une île tropicale.
 

L’exposition de Camille Henrot est déroutante pour quelqu’un qui est habitué à l’histoire de l’art occidentale. En regardant ces œuvres, on est comme un français qui regarde une calligraphie japonaise. Notre regard d’amateur de peintures va d’abord chercher dans cette réalisation à l’encre une composition, une harmonie des formes, un contraste. Mais on sera déçu. Pour apprécier le sens de l’œuvre, il faudra savoir lire le  japonais, ou du moins être familier de la culture japonaise, et alors sa poésie et sa philosophie nous apparaîtront dans toute leur beauté.
 
Camille Henrot délaisse ici une tradition artistique fondée sur des forces telluriques, masculines, souffrantes, infernales, au profit d’une expression aérienne, féminine, extatique, paradisiaque.
 
Née en 1978, Camille Henrot a réalisé de nombreuses œuvres où l’exotisme entre en jeu. Elle s’inspire d’un objet traditionnel mélanésien dans la pièce « Navigation charts » en 2010. Elle évoque les îles du Pacifique avec la vidéo « Million Dollar Point » en 2011.
 
Chez Camille Henrot se retrouve le mélange de deux cultures différentes, de deux mondes éloignés l’un de l’autre, qu’elle assemble et qu’elle hybride. Dans « The Strife of Love in a Dream », en 2011, elle filme l’Inde en tant qu’inconscient de l’Occident. On voit un lien avec l’archéologie et la protohistoire lorsqu’elle évoque la civilisation de l’Oxus (Turkménistan, Ouzbékistan et Afghanistan actuels, fin du IIIe millénaire avant J.-C) avec ses sculptures de la série « Overlapping figures ».
 
Le mélange des genres et des sexes se trouve dans la série de photos et de dessins « Tropic of love » (2010) où les hommes portent des habits de femmes, et où les femmes ont des sexes d’hommes.
 

Camille Henrot a bien voulu répondre à nos questions. Nous l’en remercions.
 
 
Nicolas Goulette : Est-ce que vous avez pensé ce travail sur les ikebanas comme un travail éphémère voué à disparaître et que les spectateurs du futur ne pourront pas voir ? 
 
Camille Henrot : Le principe de l’ikebana n’est pas fondamentalement d’être éphémère ou de disparaître, mais c’est aussi d’être renouvelé. Comme toutes les fleurs, il est lié à une conception du temps qui n’est pas historique. Ce n’est pas un évènement qui se produit et qui ensuite s’efface, mais au contraire s’inscrit dans la logique d’un temps saisonnier, donc dans la répétition. Les fleurs sont renouvelées.
Bien sûr certains des ikebanas donc certains des livres, comme « Machines molles » (William Burroughs) ou « L’immoraliste » (André Gide), ne peuvent être fait qu’en automne parce qu’il faut composer à partir de dahlias. Il y a quand même un moment où l’œuvre peut être faite, mais à partir du moment où elle existe, c’est sa forme qui existe. Ensuite évidemment les fleurs se flétrissent mais l’ikebana peut être reproduit, renouvelé.
 

Est-ce que c’est un peu comme ces vanités que l’on mettait dans les tableaux de la Renaissance où il y a des cranes dans le coin des tableaux pour dire que nous sommes tous mortels et voués à disparaître ?
 
Oui et non, parce qu’un des enjeux de ce projet était à la fois d’évoquer la fondamentale opposition entre la pensée orientale et la pensée occidentale des plantes, qui est notamment liée à cette conception du temps historique et du temps cyclique. Et aussi d’évoquer le rapport à la matérialité parce que par exemple, au Japon, la plupart des temples sont détruits et reconstruits. Les choses sont refaites. Rien ne disparaît vraiment, mais rien n’est éternel non plus.
Je comprends qu’on puisse faire le lien à la vanité. Mais la vanité est tellement directement liée à la tradition de l’histoire de l’art occidentale, et ce projet est tellement pour moi, au contraire, un pas en dehors de l’histoire de l’art et en dehors des traditions occidentales.
C’est plutôt un pas de côté parce que je reste française, je ne deviendrai jamais japonaise malgré tous les efforts que je fais. Mon grand regret est de ne pas être japonaise. C’est aussi un projet autour de cette question là : la manière dont la pensée occidentale et la pensée orientale peuvent s’hybrider, malgré leurs contradictions parce qu’il y en a.
Par exemple dans le texte que j’ai écrit pour le projet, j’ai cité ce proverbe zen : « ceux qui savent ne disent pas et ceux qui disent ne savent pas ». C’est quand même une opposition assez fondamentale avec la culture occidentale où le langage est une vraie arme, un vrai outil d’ascension sociale.
 

Dans votre travail on a l’impression que vous aimez explorer les mondes lointains, exotiques. Est-ce que vous aimez lire des récits d’exploration, des récits d’aventuriers de terres inconnues ?
 
Oui, il y en a d’ailleurs dans l’exposition. Il y a « Le seigneur des anneaux » qui est quand même un roman initiatique de voyage. Il y a « Robinson Crusoé », « Le voyage au centre de la Terre », « Magellan » (Stephan Zweig), « Au cœur des ténèbres » (Joseph Conrad), « Barrage contre le pacifique » (Marguerite Duras). Après, d’une certaine manière, il y a aussi un rapport aux expériences inconnues, notamment « Ma mère » (Georges Bataille) que l’on peut aussi rapprocher de « The black book » (Lawrenre Durell)  qui sont plus des aventures intérieures. Il y a un rapport à la solitude.
Cela me déplait que l’on puisse imaginer qu’il y ait un fil directeur évident parce que ce qui me plait dans l’idée d’une bibliothèque, et dans ce travail, c’est d’assumer l’hétérogénéité, d’assumer qu’il y ait des voies différentes. J’aime bien cette hétérogénéité des bibliothèques. C’est ce rapport à la polyphonie que je trouve intéressant, à la fois dans la bibliothèque et à la fois dans le travail sur les fleurs. Les fleurs, c’est la diversité.
 

Camille Henrot
« Est-il possible d’être révolutionnaire et d’aimer les fleurs ? »
Du 06 septembre au 06 octobre 2012
 
Galerie Kamel Mennour
47, rue Saint André des arts
75006 Paris
 
 

samedi 8 septembre 2012

Isabelle Pitre


Isabelle Pitre est restauratrice de tableaux. Son atelier situé dans le 12eme arrondissement de Paris est rempli de toiles, de pinceaux, de matériels de restauration. Cela fait onze ans qu'elle pratique cette activité. Elle restaure actuellement les icônes de l’église Saint Julien le Pauvre à Paris.


Isabelle Pitre a bien voulu répondre à nos questions. Nous l’en remercions.


Quand vous restaurez un tableau, est-ce que vous avez besoin de discuter avec l’artiste pour connaître ses intentions artistiques et son univers ? 

Discuter avec un artiste, si il n’est plus là, c’est difficile. C’est à moi de me renseigner et de comprendre son histoire, d’avoir un engagement personnel pour découvrir son chemin et son travail dans les archives. Il y a forcement une quête picturale avec une technique particulière, mais mon métier m’emmène dans un chemin strict avec des propriétés clairement définies comme la stabilité et la réversibilité des produits. Ce sont des bases qui ont été établies par le milieu de la restauration de tableaux pour pouvoir conserver l’œuvre au mieux dans son temps, la transmettre sans la transformer, justifier chaque geste avec une minutie planifiée, définie par rapport à des tests, un constat d’état poussé pour établir une méthodologie appropriée aux matériaux de l’œuvre. C’est vraiment un regard de bienveillance dans l’idée de n’investir que le juste geste et le juste produit pour ne pas nuire à l’œuvre mais au contraire pour la soigner et l’accompagner.


A force de voir passer des tableaux, est–ce que vous n’avez pas envie de peindre vous-même et de créer vos propres œuvres ? 

Cela peut être une envie qui se développe au fur et a mesure. Beaucoup de restaurateurs peuvent avoir cette envie là. Je suis issue d’une famille de peintres, donc la peinture fait partie de ma vie. Je peins également ponctuellement. A travers tous ces peintres que j’ai découvert par mon métier, j’ai eu envie d’utiliser d’autres palettes, d’autres techniques, d’autres regards. Tout cela me permet de voyager autrement ou d’utiliser des matériaux que je n’aurais jamais osé utiliser. Mais cela, c’est toute une vie, c’est un engagement différent. Je suis à 100% dans la restauration même si je peins depuis 25 ans. Après, c’est la chance, les rencontres, les contacts. J’ai eu la chance d’exposer dans des endroits sympathiques, à Chelsea, Hong Kong, Paris, New York. Mais c’est ponctuel, je ne suis pas engagé comme il le faudrait.


Avec le développement de l’art contemporain, est-ce vous voyez passer des nouvelles formes d’art, des nouvelles techniques, des choses que vous n’aviez jamais vu avant ? 

Tout est possible à partir du moment où l’artiste laisse la liberté totale à son esprit de s’exprimer. On peut même utiliser des matériaux comme l’informatique. Aujourd’hui, on peut être troublé par l’arrivée des écrans avec des images qui défilent et qui sont considérées comme de l’art. Tout peut devenir de l’art, il faut peut-être découvrir autrement le sens de l’art, il faut le détourner, le recomposer, le recomprendre, et je pense qu’il faut continuer à découvrir, à chercher, à mélanger. La seule chose que je pourrais dire, en tant que restauratrice, c’est qu’il devient de plus en plus difficile de restaurer les œuvres contemporaines, parce qu’on allie des éléments difficiles à conserver. Surtout quand ce sont des produits comme des fruits ou des légumes. Cela a des propriétés chimiques, physiques et mécaniques qui ne sont pas éternelles, et on ne peut pas les conserver. Mais il faut s’amuser, il faut garder ce jeu, cette liberté. La liberté d’esprit nourrit d’autres libertés d’esprit.




Isabelle Pitre
A l’Atelier / Conservation et restauration de tableaux
28, rue Traversière
75012 Paris

http://www.a-latelier.fr/

samedi 1 septembre 2012

Supports / Surfaces

Dans les années 1970 naît en France un mouvement artistique contestataire et libertaire : Supports / Surfaces. Y participent notamment Claude Viallat, Pierre Buraglio qui montre des châssis, Louis Cane et ses toiles tamponnées, Daniel Dezeuze, Noël Dolla et ses étendoirs, Toni Grand qui utilise le bois, Christian Jaccard et ses valises, Jean-Michel Meurice qui peint au ripolin sur papier aluminium, Bernard Pagès, Jean-Pierre Pincemin et ses empreintes à l’acrylique, Patrick Saytour et ses tissus.

Ces artistes influencés par les idées marxistes et maoïstes refusent de peindre sur une toile montée sur châssis, cette technique étant réservée selon eux à la bourgeoisie. Ils abandonnent la figuration et le travail au pinceau, trop source d’évocations romantiques et imaginaires.

Pour eux, une œuvre est un objet manufacturé, banal. Le matériau est mis en avant. Si ils utilisent de la peinture, car ces artistes sont tous des peintres passionnés et géniaux, son utilisation est réduite à une simple application sur le support, à l’exclusion d’une quelconque beauté du geste ou du sujet.

Le Centre Pompidou à Paris présente deux toiles du mouvement Supports / Surfaces. Nous nous sommes arrêtés devant des hexagones collés de Jean-Pierre Pincemin, et une bâche peinte de Claude Viallat.

Jean-Pierre Pincemin (1944 – 2005), « Hexagones collés », toile libre, assemblage d’hexagones coupés et collés, 1969 : l’artiste a découpé des hexagones de toiles, et les a collé entre eux pour former une grande surface. Chaque hexagone est coloré à moitié en bleu. Un bleu ciel en peinture diluée non uniforme. Avec le blanc cassé des autres moitiés des hexagones, nous avons une peinture très claire, qui parait informelle. Informelle ? Pas tant que cela. En fait, l’agencement des hexagones forme de larges bandes horizontales bleutées. Cette toile est une ligne d’horizon multiple. Chaque hexagone est un ciel, un paysage frais. Pas de châssis, pas de cadre, la toile est cloutée au mur. Si elle était à l’extérieur, elle flotterait au vent.

Claude Viallat (né en 1936), « Bâche kaki », peinture acrylique sur toile de bâche, 1981 : sur une grande bâche en tissu épais évoquant une tente militaire, avec sa couleur verte et ses anneaux d’accrochage, l’artiste a peint des formes colorées. Il utilise des couleurs froides et grisées par l’emploi de complémentaires : des formes violettes entourées de jaune, des formes rouges dont le contour est le fond kaki, des formes blanches et noires. Avec cette œuvre, nous sommes dans une tente militaire, campant quelque part dans la neige.