nicolasgoulette@yahoo.com

samedi 28 juillet 2012

Nikola Kovacevic

Le peintre Nikola Kovacevic a exposé ses toiles et ses dessins dans un atelier éphémère, un ancien local commercial reconverti le temps d’une exposition en galerie d’art. Né en 1973 au Monténégro, Nikola Kovacevic vit et travaille depuis dix ans à Paris.

Ses toiles semblent être des éclaboussures rouges sur fond bleu, le chaud sur le froid, l’organique sur le minéral, le sang sur la glace. Il peint des paysages abstraits, toujours en mouvement comme si l’œuvre voulait sortir des limites du tableau.

Mais ce qui a le plus retenu notre attention, ce sont ses dessins. Pour Nikola Kovacevic, dessiner est comme faire ses gammes pour un pianiste. Ce sont des exercices réguliers. Mais quels exercices ! Des merveilles de spontanéité, de drôlerie, d’humour décalé. En quelques traits, notre artiste exprime une ambiance, une idée, érotique ou dramatique.

« Dessin 2004 ». L’artiste a dessiné une forme suggestive sur une feuille de papier millimétré. La grossièreté du sujet contraste avec la finesse du support. C’est farceur. Cela ne se prend pas au sérieux.

« Dessin 2007 ». C’est un dessin à l’encre qui présente une forme à caractère sexuel. Le dessin est recouvert de grands traits de plume. Sombres et clairs, aplats au lavis et traces de plume, formes verticales et traits horizontaux. On s’évade.

« Les têtes 2007 ». Une œuvre originale et personnelle. Sur des feuilles blanches, des têtes sont tracées en violet. Cette couleur apporte une très belle profondeur. Les traits de pinceau sont rudes et rugueux. Dans ce concert de dessins, les têtes ont chacune leurs expressions. A trois reprises sur les vingt feuilles que compte l’œuvre, la tête est tracée en mélangeant des traits rouges et bleus. Le décalage et la tension qui en résultent n’en sont que plus forts.


Nikola Kovacevic a bien voulu répondre à nos questions. Nous l’en remercions.



Nicolas Goulette : Je vois des symboles sexuels dans vos dessins.

Nikola Kovacevic : Oui, sur quelques dessins qui sont ici, il y a de l’érotisme, parce que l’érotisme nous accompagne toute la vie et tout le temps. C’est vraiment le sujet de l’art et de la vie, chez plusieurs artistes, tout le temps. La sexualité, l’érotisme, on peut dire que c’est une part inséparable de l’humain.

Concernant les têtes, est-ce que vous avez voulu faire des portraits de personnes que vous connaissez ?

Non. J’ai passé du temps dans un endroit où il y a beaucoup de gens, je voyais leurs visages. En fait, les gens m’ont inspiré. J’ai enregistré dans mon cerveau les contours des visages. J’ai déformé et j’ai donné une petite souffrance qu’il y a à l’intérieur de moi.

Pourquoi le violet ? 

Le violet parce qu’on est un peu violet, bleu, rouge. L’humain est comme cela. Si on enlève la peau, on est rouge, les veines sont bleues ou violettes. Mais en fait, c’est symbolique. Je ne peux pas expliquer en détail, parce que c’est un peu intime. C’est un portrait de moi, en fait, tous ces portraits.

Et à chaque fois, l’expression change.

L’expression, parce que différents caractères m’ont inspiré. Mais à chaque fois, c’est un petit détail qui se répète, comme un détail du nez. C’est en fait quelque chose de moi qui se répète dans chaque portrait.

L’ambiance change dans chaque dessin.

Oui, parce que chaque portrait a besoin de temps pour être réalisé, et l’ambiance est complètement différente. C’est ce que j’ai essayé de faire avec mes tableaux : pour le premier plan, je reproduis l’ambiance qu’il y a autour de moi. Si je suis dans un paysage, tout seul, je fais une sublimation de ce que j’écoute, de ce que je vois, de ce que je pense. Je fais une ambiance, pour quelqu’un qui va regarder et ressentir la même chose.

On a l’impression que vous dessinez très vite.

Oui, parce qu’à chaque fois, c’est simplement pour enregistrer mes pensées, et cultiver l’expression. Il faut cultiver le travail manuel, cultiver une manière de s’exprimer. Si on ne s’entraîne pas, on ne peut pas s’exprimer. Les dessins, ce sont vraiment les pensées enregistrées. Si on pense à différentes choses en quelques minutes, on peut réaliser des dessins vite fait, qui sont vraiment chargés d’énergie et de messages. Et cela, je le cultive tout le temps.



Nikola Kovacevic
Exposition du 28/06 au 07/07/2012
4, rue Audubon
75012 Paris

nikola-art.com


Dessin 2004


Dessin 2007


Les têtes 2007


samedi 21 juillet 2012

Chris Killip

Le BAL, salle d’exposition dédiée à la photographie, présente les travaux de Chris Killip, des photos noir et blanc, prises dans les années 1970 et 1980 en Angleterre. Chris Killip a photographié les quartiers populaires, en proie aux fermetures des usines, à la destruction. Les habitants de ces quartiers semblent témoigner d’un passé maintenant révolu.

Chris Killip nous montre les réminiscences des quartiers sur le point d’être rasés. Dans ces environnements durs, contraints, les habitants semblent lutter contre eux-mêmes, contre leurs passés, contre les cadres imposés par la société moderne. 

Par leur intermédiaire, c’est Chris Killip, et finalement les spectateurs de cette exposition, qui luttent contre ces photos, contre ces sujets trop bien cadrés, trop noir et blanc, trop ancrés dans les années 70 et leurs luttes sociales.

Chris Killip présente des anglais désabusés. Lui-même est désabusé. Ses photographies sont désabusées. Elles sont des témoignages. Mais parfois, le témoignage ne porte pas car il n’y a personne, pas de présence humaine dans la photo.

Approchons de trois photographies, plus « picturales » que les autres. Elles évoquent des peintures abstraites, aux compositions radicales et minimalistes.

« Filatures », Huddersfield, 1974. Cette photo montre une usine vue de haut. Les bâtiments s’étalent de part et d’autre d’une route, tranchée blanche au milieu des murs gris. Il y a une grande profondeur et une belle perspective. Les lignes de fuite des immeubles « tournent » autour du point central situé au bout de la rue. Nous surplombons l’usine, nous sommes à la même hauteur que le ciel. Ces bâtiments sont comme des maquettes avec lesquelles nous jouons. Nous jouons, en effet, quand nous faisons et regardons de l’art.

« David et Whippet attendent le saumon », North Yorkshire, 1983. Deux garçons en habits noirs sur fond de mer et de sable, avec au loin, dans l’horizon laiteux, de pâles maisons. Il y a un grand contraste dans cette œuvre. Deux personnages noirs perdus sur un fond blanc.

« Helen et son houla-hop », Northumberland, 1984. Une jeune fille joue du cerceau sur un terrain vague au bord de la mer. L’horizon est penché vers la droite, comme s’il tombait. Comme le cerceau, tout est instable dans cette photographie. Le sol est sombre, avec ses herbes folles, son tas de charbon, son vieux fauteuil noir. Seules les chaussettes de le jeune fille apportent une touche de blancheur ordonnée.

Nous n’avons pas très envie d’être dans l’Angleterre de la fin des années 70 que nous montre Chris Killip. Elle paraît grise. Le noir et blanc accentue cet aspect. Elle paraît étriquée, prise dans un carcan dont on ne peut se libérer. Le format rectangulaire et le cadre des photos accentuent cet aspect. Les personnages dans ces photos sont pris au piège du petit format, pris au piège du noir et blanc, pris au piège des vieux immeubles, pris au piège du passé, pris au piège des tensions sociales. Et nous, en 2012, de quoi sommes-nous pris au piège ? Quel artiste le révèlera ?


Chris Killip
jusqu’au 19 août 2012

Le Bal
6, impasse de la Défense
75018 Paris

http://www.le-bal.fr/
http://www.chriskillip.com/

samedi 14 juillet 2012

Les Maîtres du Désordre

Le Musée du quai Branly présente une exposition sur le chamanisme et ses objets. Le chamanisme, rite de communication avec les esprits, que l’on retrouve dans toutes les cultures, est le prétexte à la fabrication de masques, de costumes, de statuettes. Ces objets expriment pleinement les interrogations spirituelles de ces populations vivant en communion avec la nature.

Le chamanisme existait dans toute l’Eurasie, de la Sibérie à l’Europe, en passant par la Chine et les steppes mongoles. En Afrique et en Amérique, nous avons aussi des rites de communication avec l’au-delà. On retrouve toujours un prêtre, un sorcier qui passe dans le monde des esprits ou des ancêtres pour communiquer avec eux. Il s’agit d’assurer la protection des populations, de guérir les maladies, d’apprivoiser les mauvais sorts.

Pour ces intermédiaires entre le monde réel et le monde spirituel, les costumes jouent un grand rôle. Des costumes excentriques, colorés, multiformes. L’exposition du musée du quai Branly nous montre des masques (par exemple ce « masque de chamane », population tlingit, côte nord-ouest des Etats-Unis, 19è siècle).

Les chamanes sont aidés dans leur voyage vers l’au-delà par des « esprits auxiliaires » qui les aident et les guident. Ces esprits auxiliaires sont représentés par des statuettes en forme d’animaux (« esprit auxiliaire de chamane - figure de coucou », population touva, Sibérie, début du 20ème siècle, bois, tissu, pigments).

Le voyage vers l’au-delà est symbolisé par les « véhicules » utilisés par le sorcier. Différents objets sont utilisés, comme ce « bâton de chamane » de la population khakasse, Sibérie, début du 20ème siècle, bois, cuir, cuivre, coton, tissu.

Au Chili, la sorcière monte sur un poteau en bois sculpté, orné d’une tête, pour communiquer avec le mode des ancêtres. La « maachi », prêtresse chilienne, chante et joue du tambour. Ses messages divins sont ensuite traduits. La « maachi » est une guérisseuse, et elle prédit l’avenir (« Poteau cérémoniel », population mapuche, Chili, 20ème siècle, bois).

En Afrique, on sculpte des statuettes rappelant une forme humaine. Elles font l’objet de cultes, pour protéger la communauté. Nous voyons notamment Mbotumbo, un esprit de la brousse qui fertilise la terre et écarte les mauvais esprits (« Mbotumbo », population baoulé, Côte d’Ivoire, 20ème siècle, bois, textile, fibres végétales, terre, sang séché).

Nkisi Nkoudi est une statue qui permet d’identifier les maux, physiques ou psychologiques. Le prêtre la recouvre de matière, la touche, énonce des phrases. Les matières, clous, coquilles de mollusques, cailloux, sont les expressions des maux que l’on cherche à découvrir (« Nkisi Nkoudi », population kongo, RDC, 19ème siècle, bois, métal, cuir, coquillage, résine, pigments).

Dans la Rome antique, les bacchanales étaient des fêtes qui avaient lieu sous le patronage de Dyonisos, dieu de l’obscurité. L’hiver était la période propice aux apparitions et aux célébrations des esprits. Dans la nuit, on imagine plus facilement des présences occultes (« récipient à figures noires figurant un défilé de bacchantes », Grèce, 4ème – 6ème siècle av. J.C., céramique).

Ces objets ont donc véritable fonction sociale. Ils sont utilisés lors des cérémonials. La force de ces objets est guidée par le sens spirituel qu’on veut leur donner.

Les Maîtres du Désordre
jusqu’au au dimanche 29 juillet 2012

Musée du quai Branly
37, quai Branly
75007 Paris

samedi 7 juillet 2012

Christopher Wool

Christopher Wool expose ses grandes toiles au musée d’art moderne de la ville de Paris. Né en 1955 aux Etats-Unis, il a étudié la photographie et la peinture. Il a réalisé de nombreuses expositions : musée Boymans – van Beuningen  à Rotterdam en 1991, museum of contemporary art à Los Angeles en 1998, musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg en 2006, ainsi que plusieurs accrochages à la galerie Luhring Augustine à  New York.

Dans la première salle du musée d’art moderne de la ville de Paris, nous voyons ce qui fait l’essence du travail de Christopher Wool : des tableaux en noir et blanc abstraits. Pas tout à fait en noir et blanc. Sur certaines toiles, nous avons des traits marron. Précisons que ces images ne sont pas comme les photographies en noir et blanc que nous avons l’habitude de voir. Chez Christopher Wool, le blanc et le noir ne sont pas sur le même plan, ils ne sont pas dans la même dimension.

Les noirs, les traits, les masses noires, sont traités en sérigraphie. Cela donne un côté lointain, éthéré. Ce sont comme des photographies figuratives. L’impression numérique de pigments sur support fait que nous interprétons le sujet comme étant « lointain », car vu à travers le prisme de la technique. Quant aux blancs, il s’agit de « vraie » peinture que l’artiste a étalé. C’est un médium très proche de nous, c'est du pigment bien réel qui a une épaisseur.

Dans la deuxième salle, il y a des séries, des reprises du même tableau. Une toile abstraite est « représentée » en sérigraphie. Une toile abstraite, que l’on reconnaît comme telle parce que l’on y voit des aplats de peinture. Les taches de peinture, abstraites, nous renseignent sur le fait qu’il s’agisse d’un tableau. Ces motifs sont sérigraphiés sur un autre « tableau » (que nous avons plus de mal à appeler ainsi). Disons sérigraphie sur toile. Nous voyons la trame de la sérigraphie apparaître en gros plan.

L’abstraction entendait rapprocher l’art du spectateur en lui proposant un niveau de compréhension « réel », hors de l’imagination des scènes figuratives. Avec Christopher Wool, même les toiles abstraites acquièrent un statut d’images rêvées, attirantes, érotiques.

Dans la troisième salle, nous pouvons retracer un parcours chronologique. Sur une grande toile, Christopher Wool a tracé en peinture des lignes orange. C’est une sorte de grand geste arrondi, minimaliste. Puis, sur une autre toile plus grande, l’artiste a reproduit la première forme en technique sérigraphique noire. C’est plus lointain. D’une certaine façon, c’est moins abstrait (c’est un tableau figuratif qui représente une toile abstraite). C’est donc plus joli, moins inquiétant, moins « agressif » pour le spectateur. Le geste brutal de l’artiste minimaliste, le geste qui s’impose par l’objet réel, le geste qui s’oppose à nos références quotidiennes, bref, la présence de l’œuvre d’art, est ici illustré de façon littéraire.

Alors, Christopher Wool, ne seriez-vous pas en train de réaliser des œuvres gentilles, qui résonnent avec nos valeurs habituelles, justement le contraire de ce que nous attendons de l’art ? Ne seriez-vous pas en train de fabriquer de beaux tableaux lisses, de beaux objets dont l’aspect révoltant n’est qu’une image ? De belles images qui rejoignent les affiches publicitaires.

Avouez, Christopher. Vous faites des affiches pour présenter votre travail. Des affiches au design blanc qui prennent superbement leurs places dans ce bel espace d’exposition du musée d’art moderne. Très intellectuel. Il ne manque que nous, spectateurs, regardeurs d’art.

Finalement, vous voulez remettre en cause la façon dont nous faisons et regardons l’art. Avec l’art plastique, nous nous regardons nous-mêmes. Et cela a quelque chose d’effrayant.


Christopher Wool
jusqu’au 19 août 2012
Musée d’art moderne de la ville de Paris

http://wool735.com