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samedi 22 septembre 2012

Valérie Favre

La galerie parisienne Jocelyn Wolff expose les peintures nocturnes de Valérie Favre, née en 1959 en Suisse.
 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 160*150 cm) est un paysage lunaire. Nous sommes dans la nuit. Il y a de multiples petits traits blancs comme des étoiles brillant dans le ciel noir. En bas, vers la ligne d’horizon, une illumination blanche. Le sol est défini par une bande grise au bas de la toile. Il n’est pas plat, il y a des reliefs sombres. Silence dans la nuit. Tel pourrait être le titre de ce tableau. Mais aussi Violence dans le ciel. Les astres bougent, dansent en traînées blanches. L’artiste, spectateur de l’univers, de l’art, immense.
 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 155*170 cm). Ce tableau est moins lisible que le premier. Il y a toujours le fond noir, les astres qui bougent en longues traînées. Certains sont gros, peints en épaisse peinture blanche. Il y a toujours une illumination au centre de la toile. Mais il n’y a plus de sol. Nous flottons dans l’abstrait. Il y a des touches blanches qui tombent vers le bas du tableau.
 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 255*155 cm). Ici, c’est plus grand, plus calme, plus apaisé. La hauteur de la toile dépasse la taille humaine. Elle est noire avec quelques points blancs sages. L’illumination est toujours là au centre comme une profondeur infinie. C’est une nuit non seulement silencieuse mais aussi vide. Cette toile est presque un monochrome. Elle en a le calme, la sérénité, l’intériorité, le mystère.
 
« The dinner from Goya » (collage, encre de Chine, aquarelle, acrylique sur papier, 24,5*34 cm). Sur de multiples fragments de papiers découpés, l’artiste a dessiné un mouvement circulaire à l’encre noire. Il y a des animaux qui courent autour d’un espace à fond noir où deux ou trois personnages batifolent. Il y a une carte météorologique qui nous ramène à la réalité avec un peu de logique quotidienne dans ce monde d’illusions artistiques.
 
 
Valérie Favre a bien voulu répondre à nos questions. Nous l'en remercions.
 
Nicolas Goulette : Avec ces toiles, je trouve que vous vous rapprochez de toiles monochromes, par rapport à votre travail précédent. Est-ce le monochrome est quelque chose vers quoi vous avez envie d’aller ?

Valérie Favre : Vous n’avez pas tout à fait tort, mais ce n’est pas forcément le monochrome. C’est quelque chose de low. Low, c’est moins de matériel, quand on connait mon travail. C’est arriver à des choses plus calmes, noir et blanc. A un moment donné, j’avais envie de me poser la question, après 30 ans de peinture  derrière moi, j’avais envie de m’interroger sur ce qu’est le noir et blanc. Comment c’est possible de traduire des images, parce que ce sont quand même des images, mais ce sont des images en peintures qui prennent un temps fou, ce ne sont pas des images internet. C’est pour cela peut-être, parce que c’est plus calme, noir et blanc, qu’on a cette impression de monochrome. Mais ce n’est pas vraiment du monochrome  parce que chaque étape est faite avec des tas de couleurs, des tas de profondeurs, qui sont beaucoup liées au hasard. La forme n’est pas décidée.
 

Je trouve que ces tableaux sont nocturnes, qu’ils expriment l’immensité de la nuit, avec à chaque fois une blancheur au milieu qui parait infinie. Est-ce que cette blancheur est pour vous infiniment lointaine ? Est-ce qu’elle évoque une présence artistique ?
 
Oui il y a quelque chose de mystérieux. Quand je suis avec mes étudiants à Berlin, je leur dis « je cherche du mystère dans vos tableaux ». C’est ce que je cherche quand je travaille. C’est essayer que chaque tableau que je fais soit quelque chose qui vienne un peu de très loin, des profondeurs. Et c’est quelque chose qui n’est pas décidé au sens « je veux peindre une fleur, ou peindre un visage ». C’est le visage qui vient, ou c’est la fleur qui vient. Ou c’est la forme, parce que dans ces tableaux, cette nouvelle série noire, parce que c’est assez sombre - ce n’est pas sombre négatif -, je positionne des formes qui interviennent avec des encres.
C’est un très long travail. Cela prend plusieurs mois pour le faire, couche par couche. Il y a beaucoup de couches, on ne dirait pas. C’est comme le travail du monochrome, parce qu’un vrai monochrome est fait aussi avec énormément de couches de peinture. Et là il y a un moment magique qui se passe. Et ce moment magique, c’est à moi de le capter, de dire : « ouais, c’est ça ». Après, il y a d’autres procédures avec la peinture à l’huile qui viennent des perturbations comme des espèces d’univers.
 

Dans le dessin « The dinner from Goya », on retrouve une évocation scientifique avec une carte météorologique. Est-ce que il y a aussi une évocation scientifique dans ce que j’appelle ces ciels étoilés avec une évocation de l’astronomie ?
 
Oui, quelque part, mais c’est vous qui le voyez. Moi je n’ai pas décidé cela. Ces toiles sont des fragments. Tous ces tableaux que vous voyez sont des fragments d’une pièce imaginaire, d’un immense tableau qui serait un univers fictif comme la cosmogonie. Vous avez ici cinq tableaux qui pourraient être le premier début de grain de sable d’un immense univers qui n’a pas de limite.
 
 
 
Valérie Favre
Fragments
Jusqu’au 3 novembre 2012
 
Galerie Jocelyn Wolff
78, rue Julien-Lacroix
75020 Paris
 
 

 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 160*150 cm)


 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 155*170 cm)
 

 
 
« Fragment » (encre, acrylique et huile sur toile, 255*155 cm)
 
 
 
« The dinner from Goya »
(collage, encre de Chine, aquarelle, acrylique sur papier, 24,5*34 cm)
 

samedi 15 septembre 2012

Camille Henrot

La galerie parisienne Kamel Mennour expose actuellement les ikebanas de Camille Henrot. Ces compositions florales issues de la tradition japonaise sont ici l’occasion d’un dialogue avec la littérature. Camille Henrot a réalisé ses sculptures végétales en se laissant guider par les livres de sa bibliothèque. Arrêtons-nous devant trois œuvres composées d’après des titres de J.R.R. Tolkien, Marguerite Duras et Daniel Defoe.
 
« Le seigneur des anneaux » (gingembre rouge) : des tiges végétales sont assemblées en formant des sortes de lettres. Sur les murs de la galerie peints en beige clair, l’installation qui s’étend sur deux murs et un bout d’un troisième est douce, apaisante, minimaliste. C’est un travail littéraire. On croit deviner des mots. Ici, le médium se situe au même niveau que l’encre d’imprimerie pour les livres : il s’efface derrière un sens rêvé.
 
« Un barrage contre le Pacifique » (buddleia de David, bambou, lanterne japonaise, orchidée, papillon) : sur une grosse branche de bambou suspendue horizontalement, l’artiste a disposé de fragiles fleurs jaunes et oranges. Les fines brindilles de bois qui s’en échappent dansent autour de la branche. L’une d’elle s’aventure même jusqu’au sol, dessinant une trame délicate. Dans cette exposition où les murs sont gris et le sol blanc, les œuvres ne sont pas accrochées aux murs, mais sont posées au sol, ou du moins le touchent. 
 
« Robinson Crusoé » (bois flotté, aubépine, palmier de méditerranée, palmier d’arec, conifère, châtaigner, marronnier, papier journal, éléments de construction) : une œuvre plus construite que les autres qui s’étend par terre sur un large rectangle. Les feuilles de papier journal en sont la base. Dessus, différents objets sont agencés dans une composition digne d’une peinture abstraite. Des pierres, des morceaux de bois, souches d’arbres, planches peintes en rouge ou jaune, des outils métalliques sont mis à contribution. A l’arrière de la plage, car le papier jaune ressemble à du sable, se trouvent un seau bleu, un filet en plastique, un tube de cuivre. Au dessus, deux barres métalliques noires. Cette installation fait bien penser à l’univers de Robinson Crusoé. Nous sommes sur une île tropicale.
 

L’exposition de Camille Henrot est déroutante pour quelqu’un qui est habitué à l’histoire de l’art occidentale. En regardant ces œuvres, on est comme un français qui regarde une calligraphie japonaise. Notre regard d’amateur de peintures va d’abord chercher dans cette réalisation à l’encre une composition, une harmonie des formes, un contraste. Mais on sera déçu. Pour apprécier le sens de l’œuvre, il faudra savoir lire le  japonais, ou du moins être familier de la culture japonaise, et alors sa poésie et sa philosophie nous apparaîtront dans toute leur beauté.
 
Camille Henrot délaisse ici une tradition artistique fondée sur des forces telluriques, masculines, souffrantes, infernales, au profit d’une expression aérienne, féminine, extatique, paradisiaque.
 
Née en 1978, Camille Henrot a réalisé de nombreuses œuvres où l’exotisme entre en jeu. Elle s’inspire d’un objet traditionnel mélanésien dans la pièce « Navigation charts » en 2010. Elle évoque les îles du Pacifique avec la vidéo « Million Dollar Point » en 2011.
 
Chez Camille Henrot se retrouve le mélange de deux cultures différentes, de deux mondes éloignés l’un de l’autre, qu’elle assemble et qu’elle hybride. Dans « The Strife of Love in a Dream », en 2011, elle filme l’Inde en tant qu’inconscient de l’Occident. On voit un lien avec l’archéologie et la protohistoire lorsqu’elle évoque la civilisation de l’Oxus (Turkménistan, Ouzbékistan et Afghanistan actuels, fin du IIIe millénaire avant J.-C) avec ses sculptures de la série « Overlapping figures ».
 
Le mélange des genres et des sexes se trouve dans la série de photos et de dessins « Tropic of love » (2010) où les hommes portent des habits de femmes, et où les femmes ont des sexes d’hommes.
 

Camille Henrot a bien voulu répondre à nos questions. Nous l’en remercions.
 
 
Nicolas Goulette : Est-ce que vous avez pensé ce travail sur les ikebanas comme un travail éphémère voué à disparaître et que les spectateurs du futur ne pourront pas voir ? 
 
Camille Henrot : Le principe de l’ikebana n’est pas fondamentalement d’être éphémère ou de disparaître, mais c’est aussi d’être renouvelé. Comme toutes les fleurs, il est lié à une conception du temps qui n’est pas historique. Ce n’est pas un évènement qui se produit et qui ensuite s’efface, mais au contraire s’inscrit dans la logique d’un temps saisonnier, donc dans la répétition. Les fleurs sont renouvelées.
Bien sûr certains des ikebanas donc certains des livres, comme « Machines molles » (William Burroughs) ou « L’immoraliste » (André Gide), ne peuvent être fait qu’en automne parce qu’il faut composer à partir de dahlias. Il y a quand même un moment où l’œuvre peut être faite, mais à partir du moment où elle existe, c’est sa forme qui existe. Ensuite évidemment les fleurs se flétrissent mais l’ikebana peut être reproduit, renouvelé.
 

Est-ce que c’est un peu comme ces vanités que l’on mettait dans les tableaux de la Renaissance où il y a des cranes dans le coin des tableaux pour dire que nous sommes tous mortels et voués à disparaître ?
 
Oui et non, parce qu’un des enjeux de ce projet était à la fois d’évoquer la fondamentale opposition entre la pensée orientale et la pensée occidentale des plantes, qui est notamment liée à cette conception du temps historique et du temps cyclique. Et aussi d’évoquer le rapport à la matérialité parce que par exemple, au Japon, la plupart des temples sont détruits et reconstruits. Les choses sont refaites. Rien ne disparaît vraiment, mais rien n’est éternel non plus.
Je comprends qu’on puisse faire le lien à la vanité. Mais la vanité est tellement directement liée à la tradition de l’histoire de l’art occidentale, et ce projet est tellement pour moi, au contraire, un pas en dehors de l’histoire de l’art et en dehors des traditions occidentales.
C’est plutôt un pas de côté parce que je reste française, je ne deviendrai jamais japonaise malgré tous les efforts que je fais. Mon grand regret est de ne pas être japonaise. C’est aussi un projet autour de cette question là : la manière dont la pensée occidentale et la pensée orientale peuvent s’hybrider, malgré leurs contradictions parce qu’il y en a.
Par exemple dans le texte que j’ai écrit pour le projet, j’ai cité ce proverbe zen : « ceux qui savent ne disent pas et ceux qui disent ne savent pas ». C’est quand même une opposition assez fondamentale avec la culture occidentale où le langage est une vraie arme, un vrai outil d’ascension sociale.
 

Dans votre travail on a l’impression que vous aimez explorer les mondes lointains, exotiques. Est-ce que vous aimez lire des récits d’exploration, des récits d’aventuriers de terres inconnues ?
 
Oui, il y en a d’ailleurs dans l’exposition. Il y a « Le seigneur des anneaux » qui est quand même un roman initiatique de voyage. Il y a « Robinson Crusoé », « Le voyage au centre de la Terre », « Magellan » (Stephan Zweig), « Au cœur des ténèbres » (Joseph Conrad), « Barrage contre le pacifique » (Marguerite Duras). Après, d’une certaine manière, il y a aussi un rapport aux expériences inconnues, notamment « Ma mère » (Georges Bataille) que l’on peut aussi rapprocher de « The black book » (Lawrenre Durell)  qui sont plus des aventures intérieures. Il y a un rapport à la solitude.
Cela me déplait que l’on puisse imaginer qu’il y ait un fil directeur évident parce que ce qui me plait dans l’idée d’une bibliothèque, et dans ce travail, c’est d’assumer l’hétérogénéité, d’assumer qu’il y ait des voies différentes. J’aime bien cette hétérogénéité des bibliothèques. C’est ce rapport à la polyphonie que je trouve intéressant, à la fois dans la bibliothèque et à la fois dans le travail sur les fleurs. Les fleurs, c’est la diversité.
 

Camille Henrot
« Est-il possible d’être révolutionnaire et d’aimer les fleurs ? »
Du 06 septembre au 06 octobre 2012
 
Galerie Kamel Mennour
47, rue Saint André des arts
75006 Paris
 
 

samedi 8 septembre 2012

Isabelle Pitre


Isabelle Pitre est restauratrice de tableaux. Son atelier situé dans le 12eme arrondissement de Paris est rempli de toiles, de pinceaux, de matériels de restauration. Cela fait onze ans qu'elle pratique cette activité. Elle restaure actuellement les icônes de l’église Saint Julien le Pauvre à Paris.


Isabelle Pitre a bien voulu répondre à nos questions. Nous l’en remercions.


Quand vous restaurez un tableau, est-ce que vous avez besoin de discuter avec l’artiste pour connaître ses intentions artistiques et son univers ? 

Discuter avec un artiste, si il n’est plus là, c’est difficile. C’est à moi de me renseigner et de comprendre son histoire, d’avoir un engagement personnel pour découvrir son chemin et son travail dans les archives. Il y a forcement une quête picturale avec une technique particulière, mais mon métier m’emmène dans un chemin strict avec des propriétés clairement définies comme la stabilité et la réversibilité des produits. Ce sont des bases qui ont été établies par le milieu de la restauration de tableaux pour pouvoir conserver l’œuvre au mieux dans son temps, la transmettre sans la transformer, justifier chaque geste avec une minutie planifiée, définie par rapport à des tests, un constat d’état poussé pour établir une méthodologie appropriée aux matériaux de l’œuvre. C’est vraiment un regard de bienveillance dans l’idée de n’investir que le juste geste et le juste produit pour ne pas nuire à l’œuvre mais au contraire pour la soigner et l’accompagner.


A force de voir passer des tableaux, est–ce que vous n’avez pas envie de peindre vous-même et de créer vos propres œuvres ? 

Cela peut être une envie qui se développe au fur et a mesure. Beaucoup de restaurateurs peuvent avoir cette envie là. Je suis issue d’une famille de peintres, donc la peinture fait partie de ma vie. Je peins également ponctuellement. A travers tous ces peintres que j’ai découvert par mon métier, j’ai eu envie d’utiliser d’autres palettes, d’autres techniques, d’autres regards. Tout cela me permet de voyager autrement ou d’utiliser des matériaux que je n’aurais jamais osé utiliser. Mais cela, c’est toute une vie, c’est un engagement différent. Je suis à 100% dans la restauration même si je peins depuis 25 ans. Après, c’est la chance, les rencontres, les contacts. J’ai eu la chance d’exposer dans des endroits sympathiques, à Chelsea, Hong Kong, Paris, New York. Mais c’est ponctuel, je ne suis pas engagé comme il le faudrait.


Avec le développement de l’art contemporain, est-ce vous voyez passer des nouvelles formes d’art, des nouvelles techniques, des choses que vous n’aviez jamais vu avant ? 

Tout est possible à partir du moment où l’artiste laisse la liberté totale à son esprit de s’exprimer. On peut même utiliser des matériaux comme l’informatique. Aujourd’hui, on peut être troublé par l’arrivée des écrans avec des images qui défilent et qui sont considérées comme de l’art. Tout peut devenir de l’art, il faut peut-être découvrir autrement le sens de l’art, il faut le détourner, le recomposer, le recomprendre, et je pense qu’il faut continuer à découvrir, à chercher, à mélanger. La seule chose que je pourrais dire, en tant que restauratrice, c’est qu’il devient de plus en plus difficile de restaurer les œuvres contemporaines, parce qu’on allie des éléments difficiles à conserver. Surtout quand ce sont des produits comme des fruits ou des légumes. Cela a des propriétés chimiques, physiques et mécaniques qui ne sont pas éternelles, et on ne peut pas les conserver. Mais il faut s’amuser, il faut garder ce jeu, cette liberté. La liberté d’esprit nourrit d’autres libertés d’esprit.




Isabelle Pitre
A l’Atelier / Conservation et restauration de tableaux
28, rue Traversière
75012 Paris

http://www.a-latelier.fr/

samedi 1 septembre 2012

Supports / Surfaces

Dans les années 1970 naît en France un mouvement artistique contestataire et libertaire : Supports / Surfaces. Y participent notamment Claude Viallat, Pierre Buraglio qui montre des châssis, Louis Cane et ses toiles tamponnées, Daniel Dezeuze, Noël Dolla et ses étendoirs, Toni Grand qui utilise le bois, Christian Jaccard et ses valises, Jean-Michel Meurice qui peint au ripolin sur papier aluminium, Bernard Pagès, Jean-Pierre Pincemin et ses empreintes à l’acrylique, Patrick Saytour et ses tissus.

Ces artistes influencés par les idées marxistes et maoïstes refusent de peindre sur une toile montée sur châssis, cette technique étant réservée selon eux à la bourgeoisie. Ils abandonnent la figuration et le travail au pinceau, trop source d’évocations romantiques et imaginaires.

Pour eux, une œuvre est un objet manufacturé, banal. Le matériau est mis en avant. Si ils utilisent de la peinture, car ces artistes sont tous des peintres passionnés et géniaux, son utilisation est réduite à une simple application sur le support, à l’exclusion d’une quelconque beauté du geste ou du sujet.

Le Centre Pompidou à Paris présente deux toiles du mouvement Supports / Surfaces. Nous nous sommes arrêtés devant des hexagones collés de Jean-Pierre Pincemin, et une bâche peinte de Claude Viallat.

Jean-Pierre Pincemin (1944 – 2005), « Hexagones collés », toile libre, assemblage d’hexagones coupés et collés, 1969 : l’artiste a découpé des hexagones de toiles, et les a collé entre eux pour former une grande surface. Chaque hexagone est coloré à moitié en bleu. Un bleu ciel en peinture diluée non uniforme. Avec le blanc cassé des autres moitiés des hexagones, nous avons une peinture très claire, qui parait informelle. Informelle ? Pas tant que cela. En fait, l’agencement des hexagones forme de larges bandes horizontales bleutées. Cette toile est une ligne d’horizon multiple. Chaque hexagone est un ciel, un paysage frais. Pas de châssis, pas de cadre, la toile est cloutée au mur. Si elle était à l’extérieur, elle flotterait au vent.

Claude Viallat (né en 1936), « Bâche kaki », peinture acrylique sur toile de bâche, 1981 : sur une grande bâche en tissu épais évoquant une tente militaire, avec sa couleur verte et ses anneaux d’accrochage, l’artiste a peint des formes colorées. Il utilise des couleurs froides et grisées par l’emploi de complémentaires : des formes violettes entourées de jaune, des formes rouges dont le contour est le fond kaki, des formes blanches et noires. Avec cette œuvre, nous sommes dans une tente militaire, campant quelque part dans la neige.