nicolasgoulette@yahoo.com

samedi 30 juin 2012

Gerhard Richter

Gerhard Richter présente au Centre Pompidou ses peintures réalisées depuis 40 ans. Nous y voyons une spectaculaire maîtrise technique, une facilité à peindre, une grande variété des thèmes abordés, une production large en format et en quantité.

Gerhard Richter est né en Allemagne de l’Est en 1932. Avant 1961, date à laquelle il passe à l’Ouest, il menait une carrière de peintre muraliste, réalisant des fresques sur commandes de l’Etat. En Allemagne de l’Ouest, Richter commence par des œuvres figuratives. Il s’inspire de photos de son oncle et sa tante. Les peintures sont en noir et blanc, simulant ces vielles photographies que l’on retrouve dans les albums de famille.

Les années 1970 sont pour Gerhard Richter une période de doutes. Alors qu’il continue à peindre, de nouveaux médiums sont utilisés par les artistes : vidéo, performances, art conceptuel annoncent la fin de la peinture sur toile. Richter réalise des images de villes, des paysages urbains, immeubles vus de haut, des paysages de montagnes, de mers et de nuages.

Au cours de la décennie 1970 – 1980, il peint des toiles abstraites, des rectangles colorés, comme des nuanciers de couleurs. A la fin des années 1970, ses peintures montrent des formes floues, des éclairs lumineux.

En parallèle de ses toiles abstraites, Richter réalise des paysages figuratifs. Ces toiles, qui sont extrêmement finies, semblent être des photographies. On croit regarder des photographies. Ou plutôt, car nous savons qu’une peinture n’est qu’un artifice, nous regardons une toile, et nous nous plaisons à imaginer que nous regardons une photographie. La force, l’enchantement, la beauté facile de la peinture jouent à fond.

Redevenons réaliste avec les tableaux abstraits des années 1980, des traces, des aplats colorés. Contrastes de valeurs, contrastes de couleurs, fins traits étirés, grosses traces raclées.

Années 1990 : des vases, des portraits. Toiles abstraites et figuratives cohabitent. Années 2000 : abstraction, contrastes noir / blanc. Couleurs.

Entrons dans les salles d’exposition du Centre Pompidou et commençons par les tableaux non figuratifs.

« Etude de nuage (abstrait) », 1970, huile sur toile.
Nous sommes dans un espace cotonneux. Pas de distinction entre les amas de couleur. La peinture est fondue, comme diluée. C’est l’effet mélangé de l’aquarelle et la profondeur de l’huile.

« Détail (rouge – bleu) », 1970, huile sur toile.
Là encore, la peinture est veloutée, elle n’est jamais dure ou cassante. Ce « détail », ainsi que s’appelle cette œuvre, est un grand mouvement rouge du bas vers la droite. Il y a du violet ondulant et du blanc présent. Des couleurs chaudes, une atmosphère moite.

« Peinture abstraite », 1983, huile sur toile.
Un petit format. Vert sur rouge. Très chaud, tropical.

« Peinture abstraite », 1987, huile sur toile.
Grand format. La peinture est raclée sur la toile en couches épaisses. Des touches, des taches, voilà ce que nous sert Gerhard Richter dans ce plat plus pimenté que les autres.

« Forêt », 1990, huile sur toile.
Encore un très grand format, sombre, bleu nuit. Des touches jaunes ressortent. C’est une nuit acide.

« Peinture abstraite », 1990, huile sur toile.
De la peinture, toujours de la peinture. Allons-nous digérer tout cela ? Elle est raclée horizontalement, révélant des formes de couleur alternativement gris-rouge, et vert-blanc.

« Peinture abstraite », 1992, huile sur aluminium.
Du blanc étalé de gauche à droite. Ca et là, à force de racler, on arrive au support. Un support étonnant : de l’aluminium. C’est un tableau industriel, moderne finalement, qui rompt avec le romantisme de l’huile sur toile.

Arrêtons-nous maintenant devant les œuvres figuratives.

« Betty », 1988, huile sur toile.
Une leçon de peinture, comme on en prend en allant au Louvre. C’est très beau, très brillant, et le vernis de la toile n’arrange rien.

« Abattu par balle 1-2 », 1988, huile sur toile.
Deux tableaux qui représentent une personne étendue sur le sol, un bras écarté. C’est noir et blanc. Le noir domine. C’est pessimiste.

« Pendue », 1988, huile sur toile.
Ce n’est pas gai non plus. Nous voyons des tons fondus, une silhouette verticale dans une pièce. A l’avant plan, une grosse masse sombre.

« Cellule », 1988, huile sur toile.
La peinture est raclée de haut en bas. Génial. Cela change des mouvements de gauche à droite que l’on a vu jusque là. Nous croyons être dans une pièce avec une bibliothèque et des livres, innombrables petits traits noirs verticaux.

« Autoportrait », 1996, huile sur toile.
Nous devinons une tête, floue, sur un fond sombre. La lumière du visage est blafarde et arrive difficilement jusqu’à nous. Artiste virtuose, trop facile, Gerhard Richter a peut-être voulu se lancer un défi en faisant tendre ce portrait vers l’abstraction.

« Maison dans la forêt », 2004, huile sur toile.
Une belle œuvre. Nous surplombons la forêt sur fond de montagne. Le ciel est bleu-gris. Nous rêvons, dans cette toile. Un peu trop. Gerhard Richter va décidément à l’encontre des « pratiques artistiques contemporaines », comme on dit. 

Revenons à l’abstraction de ces dernières années, avec une série de grands tableaux, et une nouvelle technique, le numérique.

« Cage (1-6) », 2006, huile sur toile.
Six grandes toiles carrées. Des gris colorés apparaissent. Une couleur de métal. Cela évoque un grand hangar alternatif, chic et cher.

« Strip », 2011, impression numérique sur papier.
Ce n’est plus de la peinture. Mais ce sont toujours des traits horizontaux. Des stries colorées, impeccablement droites grâce au numérique. Noue ne pouvons pas lutter. Cette œuvre a quelque chose de surhumain. Elle va trop vite pour nous.


Gerhard Richter, jusqu'au 24 septembre 2012
Centre Pompidou, Paris

samedi 23 juin 2012

Resisting the Present. Mexico 2000/2012

Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente « Resisting the Present. Mexico 2000/2012 », une exposition réunissant des œuvres de plusieurs artistes mexicains.

Arturo Hernandez Alcazar, né en 1978 à Mexico. « Papalotes negros » - 2010 – Cerfs-volants couvert de pigments noirs.
Des cerfs-volants noirs sont suspendus entre sol et plafond, dans une œuvre en trois dimensions simulant un vol d’oiseaux ou de chauves-souris. La mort semble planer sur nous. C’est un univers visuel grandiose, contrasté (noir se détachant sur les murs blancs), dur. Si c’est une évocation de la société mexicaine, c’est plutôt pessimiste.

Bayrol Jimenez, né en 1984 à Oaxaca. « Maldito » - 2012 – Acrylique sur papier.
De grandes feuilles de papier où l’artiste a dessiné à la peinture rouge des scènes morbides. Nous voyons un squelette trônant sur un riche fauteuil, des soldats devant une fosse commune, des personnes sans tête, des gens masqués, ou armés. Cette grande composition rouge est dominée par un aigle bleu représentant les Etats-Unis. Au bas, un trou au fond duquel se trouve un billet de banque. Le sang et la violence caractérisent cette œuvre.

Hector Zamora, né en 1974 à Mexico. « Credibility Crisis » - 2010 – 16 manches à air, ventilateurs.
Des ventilateurs soufflent dans de longs tubes noirs. Encore de la noirceur dans cette installation bruyante. Non seulement la vue est gênée par ces inquiétants tubes, mais aussi l’ouïe par ce bruit de moteur, et nous sentons l’air soufflé au visage. Une œuvre industrielle, inhumaine. La machine prend le pas sur l’individu (le spectateur, et par extension la société).

Minerva Cuevas, née en 1975 à Mexico. « Rio Bravo Crossing » - 2010 – Objets divers, diaporama, photographies.
Plusieurs objets sont placés sous une vitrine. Des pierres, des fleurs séchées, un livre sur le Rio Grande, des photographies de canyons rocheux. Ce sont des objets rapportés par un explorateur du Rio Grande. Il y a même une page d’un journal américain de 1865 dont l’article parle de la guerre sur ce fleuve. Nous voyons également de grandes photos de cette rivière d’où émergent des pierres. Nous traversons le Rio Grande, nous sommes dans cet univers sauvage et minéral.

Natalia Almada, née en  1974 au Mexique. « El Velador » - 2011 – Vidéo. 
Nous sommes dans la rue. Il y a une église aux murs géométriques immaculés. Un homme arrose la route devant l’église, la recouvrant d’eau petit à petit. Dans ce paysage dominé par les croix, immobiles et impressionnantes, il est amusant de voir la route changer de couleur, passant d’un gris poussiéreux à un orange mouillé. Un peu de liberté. Comme l’eau, on se répand. La religion n’a plus de prise sur nous.

Marcela Armas, née en 1976 à Durango. « I-Machinarius » - 2008 – Pétrole, chaîne, moteur.
Après les ventilateurs, encore un système mécanique noir et bruyant, plus grand que la taille humaine. Sur un mur blanc, des engrenages tournent en faisant se déplacer une grosse chaîne. Il y a des coulures de pétrole gras. Les contrastes sont au maximum dans cette œuvre. Que fait du pétrole dans ce musée parisien, chic et haut de gamme ? Et ces engrenages sont plus le fait de machines que d’œuvres d’art. Pourtant, cette installation est séduisante. On retrouve la force primitive des gravures sur bois. On est frappé par la puissance métallique du système, on est fasciné par ce mouvement qui nous dépasse.

Mariana Castillo Deball, née en 1975 à Mexico. « Between you and the image of you that reaches me » - 2010 – Sculpture, papiers découpés, vidéo.
Au sol, des plastiques moulés qui portent les empreintes de bas-reliefs sculptés, dont on imagine qu’ils proviennent de monuments mexicains précolombiens. Sur le mur est accroché une dentelle de papiers découpés. Une sculpture légère et blanche, en opposition avec les pierres évoquées par les moulages. La vidéo montre des paysages urbains en ruine, des personnages en noir et blanc qui semblent en deuil, des lignes géométriques sur fond bleu. Il y a plusieurs éléments dans cette installation multiforme qui s’étend sur un grand espace. Une œuvre multiple, rafraîchissante, car on peut changer d’univers, des ruines au ciel bleu, des monuments au papier. On bouge, on vit.

Adriana Lara, née en 1978 à Mexico. « Alien » - 2011 – Acrylique sur toile.
Sur une fine toile tendue depuis le plafond, l’artiste a peint une sorte de tête verte avec des yeux bleus, comme une tête d’extraterrestre. C’est un drapeau, un étendard. Un jeu où les aliens auraient pris un territoire et auraient marqué leur frontière. C’est donc cela, l’art ? Un jeu où l’on feint de marquer son territoire imaginaire.



Resisting the Present. Mexico 2000/2012
Jusqu’au 8 juillet 2012

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
11 avenue du Président Wilson
75116 Paris

vendredi 15 juin 2012

Les Rochers de lettrés chinois

Le musée Guimet présente une exposition de rochers, que les lettrés de la Chine ancienne possédaient, et en lesquels ils voyaient des éléments naturels, montagnes, grottes ou paysages. Ces rochers, avec leurs formes tourmentées, sont l’occasion de rêver et d’imaginer des univers. Ils permettent une réflexion nouvelle sur la façon d’appréhender les œuvres d’art en général.

« Pierre Montagne », pierre de ying, support en bois. Dynastie Ming – Qing (14ème au 20ème siècle).
Nous sommes devant une pierre verticale. Ses craquelures, ses boursouflures montent, se déploient en hauteur. Ce rocher nous fait penser à un personnage, avec une épaisseur plus marquée en haut comme une tête. Nous rêvons soudain à un gardien, une figure accueillante et accessible. C’est nous qui devons aller vers elle.

« Montagne essence de jade », pierre de lingbi sombre, support en bois. Dynastie Song – Yuan (10ème au 13ème siècle).
C’est un rocher torturé avec de nombreux renflements et des parties en creux. Pour voir la vie qui grouille dans cette pierre, il faut que le spectateur s’immobilise. C’est l’un ou l’autre. Soit le spectateur bouge, passe d’une pièce à l’autre sans prendre le temps de s’arrêter, et alors il ne voit que des cailloux inertes. Soit il s’arrête et regarde, et alors les objets s’animent, les œuvres de l’esprit que sont ces rochers prennent vie.

« Rochers en forme de pierre musicale », pierre de lingbi, bâti de suspension en bois. Dynastie Ming (14ème au 17ème siècle).
C’est une pierre plate, sinueuse, rayée, suspendue à un cadre, de sorte qu’elle est maintenue dans le vide entre quatre barreaux de bois. Le cadre en bois évoque un tableau, on retrouve ici le châssis des peintures sur toile. Mais il y a deux grandes différences avec ces dernières. Premièrement, entre les montants du châssis, il y a du vide. Un vide attirant, profond, que même la toile la plus blanche et la plus immaculée ne pourra égaler. Deuxièmement, le sujet de l’œuvre est en pierre véritable. La pierre est le sujet de l’œuvre. Sujet exprimé « en vrai », mieux que la plus aboutie des peintures.

« Grande Montagne Miniature », pierre de lingbi, support de bois. Dynastie Ming (14ème au 17ème siècle).
Cette grande pierre blanche est comme un fantôme qui déploie ses bras. Une présence étrange par sa couleur, un blanc qui irradie jusqu’à nous. Cette pierre est déchiquetée, trouée, elle a des arrêtes saillantes et tranchantes. Ses trous lui font l’effet d’une dentelle et accentuent l’aspect fantomatique car nous voyons à travers. Quel est ce spectre inquiétant, venu de Chine pour nous hanter ?


"Rochers de lettrés, itinéraires de l'art en Chine"
Jusqu'au 25 juin 2012

Musée Guimet
6, place d’Iéna
75116 Paris

samedi 9 juin 2012

Doris Ospina

En quatre tableaux, une artiste colombienne, Doris Ospina, nous raconte le carnaval de Barranquilla. Le carnaval permet de critiquer la société, la religion et les notables. Avec les masques, il n’y a plus de différence sociale. La peinture est le moyen rêvé pour exprimer cette fête égalitaire et contestataire, un tableau n’est-il pas un masque que l’artiste se construit et derrière lequel il se cache pour mieux contester le monde ?

Nous avons rencontré Doris Ospina dans son atelier, à la « Vache Bleue », collectif de poètes, musiciens, sculpteurs, et peintres situé dans le 19ème arrondissement de Paris.

Doris Ospina est née en Colombie. Elle se forme à l’académie « Art Espace » à Medellin. En 1979, elle part au Mexique et s’installe dans les ateliers du palais des Beaux Arts, où elle s’imprègne des œuvres des grands muralistes mexicains, Orozco et Rivera. Elle arrive à Paris en 1981 et s’installe à la Vache Bleue en 2000.

Approchons-nous de plus près des quatre grandes peintures sur toile que Doris Ospina nous montre, et participons nous aussi au carnaval de Barranquilla.

Tout d’abord, nous vivons les « Sortilegio del Carnaval » (sortilèges du carnaval). Ce tableau représente l’attente du carnaval. Tout le monde s’organise pour la fête. On prépare les habits, les plats, l’alcool. Les musiciens arrangent leurs instruments. Cette toile est une féerie de couleurs, rouge sombre, orange concentré. Une mêlée de masques, de têtes, d’yeux dans tous les sens.

Puis vient « El Carnaval en Ebullicion » (le carnaval dans sa fureur). Le tableau est plus ramassé que le précédent. C’est une masse pesante de bleus et de violets. C’est plus sombre, plus inquiétant. Il y a toujours des traits noirs qui entourent et structurent les formes qui ondulent.

Troisième tableau, « Joselito Carnaval » (la mort du carnaval), d’après l’histoire de Joselito qui ne veut pas finir le carnaval. Il ne veut pas s’arrêter. Il s’enivre jusqu’à la mort, refusant d’ôter son masque pour revenir à la vie quotidienne. Le tableau montre le masque de Joselito mourant face à l’esprit qui l’attend dans l’au-delà. Il y a des yeux qui regardent partout, les masques ont mêlés les uns aux autres dans des tons bleus et jaunes verdâtres.

Enfin, nous nous réveillons avec la « Resaca des Carnaval » (la cuite du carnaval). La fête est finie. Nous avons la gueule de bois. Il n’y a plus de masque, tout semble couler, se répandre vers le bas dans les tons verts chauds.



www.dorisospina.com

La Vache Bleue
Association d’artistes
25, Quai de l'Oise
75019 Paris

samedi 2 juin 2012

Caroline Dantheny

Caroline Dantheny réalise des peintures sur toile gaies et épanouies, colorées et violentes. Elle nous présente son travail jusqu’au 16 juin 2012 à la galerie Schwab Beaubourg à Paris.

« Sans titre 5 » : Une bataille, une mêlée. Les furies sont déchaînées dans ce grand triptyque. Les couleurs sont les munitions, éclatées, projetées. La violence des vagues blanches frappant les rochers noirs.

« Bulle 4 » : La toile est ronde. Le cercle semble partagé en trois secteurs : rouge, noir, or. Au centre, une présence blanche accompagnée d’une exclamation jaune. « Big Splash » pourrait être le titre de cette œuvre.

« A tout hasard » : Encore un « big splash » blanc en haut de cette toile ronde. Entendez par la une grosse projection gaie et épanouie (épanouissante). Sous ce big splash, du rouge, du violet avec des traces rouges comme des peintures rupestres. C’est « big », c’est brut, c’est préhistorique, pourrait-on dire.

« Premier royaume » : Ce sont des projections de couleur or. On peut dire qu’on est ici dans le chic et le raffiné de l’art brut, si cela peut exister. De grandes projections et un fond de couleur or. Préhistorique, mais préhistorique luxueux.

« Instantané n°2 » : Une toile unique, rectangulaire. Enfin un format « normal ». On redevient sérieux avec cette toile abstraite, qui n’est ni un diptyque, ni de format rond. En bas, de larges touches noires profondes et lourdes. Partout ailleurs, des étendues claires légèrement colorées de jaune. Des jus dilués légers et lestes. C’est la grande évasion. Nous nous élevons et volons dans cette toile.


Galerie Schwab Beaubourg
35, rue Quincampoix
75004 Paris

"Premier royaume" - Technique mixte sur toile - 162 x 260 cm
Diptyque composé de 2 panneaux de 162 x 130 cm