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samedi 28 avril 2012

Florent Moutti


Le Ventre de la Baleine est un ensemble d’ateliers d’artistes, situé à Pantin en Seine-Saint-Denis. C’est là que travaille le peintre et graveur Florent Moutti. Depuis plusieurs années, il utilise la toile de Jouy comme support pour ses peintures. Avec ses motifs imprimés créés au 18ème siècle, la toile de Jouy permet au peintre de faire ressortir dans ses tableaux un univers ancien, traditionnel, et de le faire résonner avec la vie actuelle.

Sur une de ses œuvres, nous voyons un descendant de Christophe-Philippe Oberkampf, le créateur de la toile de Jouy au 18ème siècle. Les habits du personnage sont bleus avec des traces rouges. Le fond, les motifs de la toile de Jouy, transparaissent et s’expriment à nous, plusieurs siècles après leur création. Ils sont renouvelés dans ce tableau.

Une autre œuvre montre une grande femme, en robe violette, peinte sur un fond de motifs de toile de Jouy. C’est un tableau très fort par le violet de la robe, qui prend presque la moitié de la toile. Le visage calme et serein de la femme semble émerger de la toile de Jouy. Il semble s’ancrer dans cette tradition ancienne des motifs de Jouy. Ces motifs, des personnages devant une montgolfière, sont ici remis à l’honneur via la femme moderne. Ils viennent jusqu’à nous, traversant les siècles par l’intermédiaire du tableau de Florent Moutti.

Pourquoi l’artiste fait-il ressurgir le passé dans ses toiles ? Florent Moutti explique que le passé « est sans cesse remis d’actualité. Par exemple pour les toiles de Jouy, cela fait partie d’un patrimoine historique. Et donc ce travail, c’était pour peindre des visages de français d’aujourd’hui, des jeunes de différentes origines, des moins jeunes, sur ce patrimoine historique. La France, c’est quand même pas mal de vielles pierres, de monuments, et c’est bien. Mais ce n’est pas incompatible avec des apports nouveaux, avec une nouvelle société en mouvement. »


Le Ventre de la Baleine, ateliers d’artistes à Pantin (93) :

samedi 21 avril 2012

Laurent Godard

Il existe à Paris un lieu tout à fait drôle et unique dans le monde des arts : Flateurville. Village imaginaire, lieu d’exposition, mise en scène rêvée, œuvre multiple de Laurent Godard. C'est un ancien hangar industriel, que l'artiste occupe et transforme. Laurent Godard peint. Ses peintures sur toile sont accrochées dans toutes les pièces. Jusqu'ici, rien d'original. Mais en s'approchant et en regardant les tableaux de plus près, nous découvrons un peintre hors pair, un artiste complet, dont chaque tableau nous surprend.

Dans la chambre se trouve un portrait mélancolique. Les yeux du personnage semblent fatigués. Il y a de forts contrastes dans cette toile, sur fond violet avec la tête peinte en jaune pâle. Les traits énergiques et imparables, le dessin cassé, la bouche expressive, les cheveux « dans le vent », tout dans cette toile est énergique, vif, brillant. Dans la grande salle du fond, nous voyons un grand tableau représentant une tête. Là encore, c'est un format assez inhabituel, un format carré, d'une taille parmi les plus grandes. Sur un fond magnifiquement sombre (une terre violette lisse et brillante) se trouve une tête illuminée, éclairante, avec sa couleur beige clair. Quelques ombres discrètes et fondues modèlent cette « force » de la peinture.

Puis nous nous arrêtons devant un autre tableau carré jaune et bleu. Fait rare chez Laurent Godard, la main du personnage est représentée, avec quatre doigts qui rentrent dans la toile sur le bord droit. Les traits noirs coulants semblent plus languissants qu’ailleurs, plus suaves, plus assoupis, plus attirants. Enfin, de nouveau dans la chambre, un grand portrait nous regarde. Les traits noirs sont plus présents que dans les autres toiles, formant des masses noires pour les ombres et les cheveux. Le visage est modelé par des gros traits de pinceau, presque frottés sur la toile, en une touche assez inhabituelle.

Que dire, dans ce hangar reconstitué en lieu d’art ? Que dire, mis à part époustouflant ? Disons plutôt jamais vu. Précisons. Pour le lieu, il est unique. Nous avons l’habitude de voir l’art dans des lieux officiels, les musées, les institutions. Ici, l’espace est mis en scène, illustré, raconté, il héberge des œuvres d’art, on y écoute de la musique, on y boit un verre.

En ce qui concerne les tableaux, ils sont géniaux. Tous sont différents, tous ont un brin d’originalité, une trouvaille plastique. Bravo aux formats carrés, qui ne se remarquent pas au premier abord. Ce sont eux qui portent les plus grandes originalités picturales, ce sont eux qui semblent pousser l’artiste Laurent Godard dans ses retranchements, à être toujours plus inventif pour faire fonctionner l’œuvre. Chaque toile a son innovation.


Laurent Godard a bien voulu répondre à nos questions. Nous l'en remercions.


Nicolas Goulette : Sur tes tableaux, je ne vois que des portraits. Pourquoi des portraits, que souhaites-tu exprimer ? Est-ce que ce sont des autoportraits ?

Laurent Godard : Pourquoi que des portraits ? Parce que généralement, quand je vais peindre, je pense rarement à ce que je vais peindre. J’ai rarement une idée de peinture, je vais peindre comme ça. Je peins quand je trouve du temps. Pour moi la complexité dans la peinture, c’est de trouver du temps pour être disponible, ne pas avoir de téléphone, ne pas être embêté, jusque concentré sur un support, avec des pots de peinture. Donc j’arrive face à une toile, je peins comme un gamin qui regarde les nuages, et quand tu regardes les nuages, tu vois des petits personnages qui apparaissent. Et quand je regarde la toile, c’est pareil. Je cherche et je vois des personnages qui se dessinent doucement, et je vais les peindre.

Généralement, c’est toujours une grande toile. Ce sont des visages qui apparaissent, des visages avec des regards, avec des expressions, avec des sourires. Toujours un petit sourire en coin. Au premier abord, tout le monde me dit que c’est triste, et après les gens me disent : « je les ais regardé, et finalement, ils ne sont pas tristes ». Effectivement, ils ne sont pas tristes. Ils peuvent  être perplexes et ils ont surtout un petit sourire au coin de la lèvre. Quand tu les regardes, tu vois que, finalement, il y a un petit truc un peu joyeux. Parfois aussi, un peu inquiet, mais il y a un petit coin d’émotion positive et de joie qui s’exprime.

Est-ce que ce sont des autoportraits ? Je ne peins pas avec un miroir. Cela m’arrive très rarement. Je ne peins pas non plus avec des photos. Je n’ai pas une peinture réaliste. C’est juste une peinture comme ça, une espèce de flou. Tu reconnais les yeux, le nez, la bouche, les oreilles, les cheveux. Mais ce n’est pas une peinture académique, ce n’est pas équilibré, c’est très spontané, c’est très  enfantin. Il n’y a pas une recherche de ressemblance, il n’y a pas une recherche de perfection. Le personnage apparaît au fil de la peinture qui coule sur la toile ou au fil des coups de pinceaux.


Pourquoi investir des lieux ? Est-ce que les lieux sont une activité artistique pour toi ? Est-ce que tu investis des lieux pour exposer tes tableaux ou est-ce indépendant des tableaux ? 

Souvent, le départ, cela a été pour présenter mes travaux, pour présenter mes peintures. Et ces lieux là sont aussi les lieux de création de ces peintures. Je transporte très rarement mes peintures d’un lieu à l’autre. Je n’aime pas beaucoup les bouger et les emmener dans un lieu d’exposition. Je préfère, quand j’expose quelque part, peindre sur place. Créer sur place, ce que va m’inspirer le moment, le pays, l’époque, la saison. J’aime bien travailler dans les espaces que j’investis. Et généralement j’ai une espèce de petit protocole qui s’est répété plusieurs fois, et qui maintenant est devenu presque un mode d’emploi pour moi.

Souvent, ce sont des lieux qui sont un peu encombrés, un peu maltraités, mal en point. Je vais les structurer, selon le même schéma. Rapidement, je me fais un petit coin de vie pour moi et pour les proches qui m’accompagnent. Dès le premier jour, je me fais un petit coin pour créer, un petit atelier de travail, de peinture, d’écriture aussi. J’essaie de me connecter rapidement aussi, connecter mon ordinateur, avoir accès à internet. Et rapidement j’en fais des lieux festifs, pour pouvoir présenter le travail fait sur place et recevoir des amis ou des gens des alentours. Le dance-floor est important. Il n’y a pas de télévision, il y a des vidéos, qui présentent des films que je m’amuse à faire, qui racontent la même histoire.


Quels sont tes prochains projets ? Souhaites-tu investir d’autres lieux comme Flateurville ?

Mon projet, c’est de construire le village, de construire Flateurville. Je m’amuse de mon vivant à construire le mien. Il y a trois niveaux à Flateurville : les amis du village, les citoyens du village, ceux qui ont la carte d’identité, qui sont informés des différents événements de Flateurville, et les « flateurs ». J’essaie de monter un réseau social de flateurs, de gens qui vont apporter leur compétence. Et je dis que chaque flateur est porteur du drapeau carré-rond, chaque flateur participe à la réflexion et à l’écriture du manifeste de la révolution flateuse, chaque flateur m’aide à conduire cette révolution flateuse, à construire un village planétaire, sans frontière, où tous les lieux sont organisés de la même façon comme ici : un lieu de vie, un lieu de création, de réception pour les gens, un lieu de réflexion et d’écriture du manifeste.

De mon vivant, je m’amuse à construire ce village, et je continuerai dans les semaines à venir à récupérer de nouveaux lieux, à rencontrer de nouveaux complices. C’est un projet de vie et donc là j’ai plusieurs pistes, d’autres lieux. Je ne vais pas m’arrêter là, c’est sûr. Je vais essayer de monter un manuel « carré-rond » pour les enfants pour les aider à ne jamais laisser dormir l’artiste qui est en eux. Et aussi un manuel pour aider les adultes pour réveiller l’artiste qui est en eux. Toutes les disciplines artistiques confondues. Voilà : « Je ne sais pas faire mais je m’autorise à faire, je travaille, je me mets au boulot et au bout du compte quelque chose va sortir ».



Flateurville
24, cours des petites écuries
75010 Paris

www.flateurblog.com
www.flateurville.com

samedi 14 avril 2012

Edvard Munch

En 2011, le Centre Pompidou exposait une rétrospective des œuvres d'Edvard Munch, peintre norvégien (1863 - 1944). La peinture à l'huile sur toile est un médium ancien, noble et brillant. Il a ses contraintes techniques, ses règles de bonnes pratiques. Mais que se passe-t-il si on ne respecte pas ces règles ? Si on utilise la peinture comme de l'aquarelle, en jus dilués, ou si on laisse la toile apparente ? Cela ne fonctionnera pas. Sauf pour Edvard Munch qui a réalisé de superbes toiles sans respecter les règles habituelles de la peinture à l'huile.

L'exposition commence par des peintures colorées, déliées, en mouvement. Il y a des traits libres, arrondis qui s'enroulent. Puis de grandes toiles, représentant des personnages du quotidien dans des univers sombres. Des œuvres rudes dans leurs traitements, leurs sujets, leurs contrastes de couleurs.

Nous voyons de forts bleus sur fonds blancs. Les personnes sont vues de face sous des lumières crues, comme si elles étaient prises en flagrant délit. Les têtes sont rasées, les peaux sont jaunes acides. Et les traits sont si peu finis. La peinture n’est pas du tout brillante, mais plutôt rêche, mate.

« Le tronc jaune » (huile sur toile, 1912) est une vue de forêt enneigée, avec un tronc d’arbre abattu. On voit sa section jaune vif, qui tranche avec la couleur des arbres encore debout. Ceux-ci sont violets.

« Le soleil » (huile sur toile, 1913) est un paysage très fort avec un soleil éclatant vu de face, en plein milieu de la toile. Les rayons solaires illuminent et traversent tout le tableau en traits concentriques. Il n’y pas de finition mais de grosses touches de peinture, et toujours le blanc de la toile qui transparaît.

Dans l'« autoportrait à la grippe espagnole » (huile sur toile, 1919), nous voyons l’artiste assis. Il porte des vêtement marrons, le siège est d'un jaune vert acide, le fond est ocre blanc avec des verts aigres. L’œuvre reste à l’état d’esquisse.

Avec « La bagarre » (huile sur toile, 1935), nous sommes dans un quartier résidentiel. Le sol est peint en violet clair. Deux personnages se battent. L'un est habillé en blanc, l’autre en noir. Celui en blanc a la tête jaune avec des coulures de sang. Il y a de vagues silhouettes à l’arrière. La toile est peinte comme à l’aquarelle. Le fond de la toile joue en donnant une tonalité aux lavis dilués de couleurs.

Edvard Munch est un peintre expressionniste, dont la ligne est tout en ondulés. C’est un coloriste, qui peint des couleurs grises, sales. Ses toiles donnent l'impression d’être poussiéreuses. Ce sont toujours des mises en scène de situations de la vie quotidienne. Les gens semblent vivre dans l’inconfort, ils sont mal, malades. L’âpreté de la vie quotidienne, les conditions climatiques, le froid, transparaissent dans ces œuvres, de même que la lumière blafarde. Une lumière dont on ne sait pas trop d’où elle vient. Elle ne vient en tout cas pas d’un soleil réchauffant, au contraire.

samedi 7 avril 2012

Yayoi Kusama

Yayoi Kusama, artiste japonaise, a fait l’objet d’une rétrospective au centre Pompidou en 2011. Née en 1929, elle travaille d’abord la technique du dessin, à la gouache et au pastel. En 1957, elle quitte le Japon pour les Etats-Unis. Elle y réalise de grandes toiles faites de multitudes de points gris sur fond blanc. Art minimaliste, art conceptuel, il s’agit presque de toiles monochromes. En 1962, elle fait des collages en série d’étiquettes ou de faux billets.

Elle réalise, en tissus cousus et rembourrés, des coussins blancs qui enrobent des objets : un bateau, un fauteuil, un escabeau. En 1966, elle commence à figurer des points sur sa propre image, sur son propre corps, dans le cadre d’aquarelles et de photocollages sur papiers. Elle débute les performances dans la rue à New York en 1966.

En 1973, elle rentre à Tokyo. Ses travaux sur papier (collages, aquarelles, gouaches) évoquent le suicide, la mort, la guerre. Dans les années 1980, elle continue à peindre de grandes toiles abstraites colorées, où l’on voit des environnements organiques, des enchevêtrements de branchages rouges sur fond vert, des points avec queues.

« Les nuages » (1984, tissu cousu et rembourré, peinture - cent pièces) : ce sont des sortes de coussins blancs multiformes étendus sur le sol. Tous ont une trace de peinture noire sur leur tranche. « Ame ravivée » (1995, acrylique sur toile) est un grand triptyque sur un fond noir. Des points blancs plus ou mois gros dessinent de longs tubes verticaux. Nous pensons à des peaux de serpents.

« Mort d’une illusion » (2001, tissu cousu et rembourré) est une grosse masse de tissus blancs qui s’élève au dessus de nous. Une longue queue en sort et touche le sol. C'est une sorte de monstre sans œil ni bouche, un extraterrestre débarqué de sa planète. « Les yeux à moi » (2010, acrylique sur papier) est une grande toile carrée. Sur un fond bleu, des formes rouges entourées de noir contiennent des points noirs. Nous croyons y voir des yeux, des cellules, des bouts de queues.

Peintre, sculptrice, actrice de performances, Yayoi Kusama créé un univers psychédélique où les joies de l’exploration de son corps sont vite remplacées par l’horreur de visions de formes organiques. Un monde sexuel et onirique où les coussins de sa chambre d’enfant se transforment en excroissances reptiliennes. Une exposition à la fois confortable avec ses multiples petits points, et dérangeante avec ses visions de tentacules. Avec Yayoi Kusama, on aime se faire peur, on jouit de ses visions d’horreur.