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mardi 13 décembre 2011

Mickaël Doucet

"Le Ventre de la Baleine", situé à Pantin en Seine-Saint-Denis, est un ancien bâtiment industriel occupé depuis plus de 15 ans par des ateliers d'artistes. C'est maintenant un lieu alternatif hébergeant une trentaine de plasticiens et musiciens. Nous y rencontrons le peintre Mickaël Doucet, dont les tableaux posent des énigmes sur la place de l'homme dans son environnement.

Mickaël Doucet joue des contrastes dans ses œuvres. Contrastes des techniques tout d'abord. Sur une même toile, il peut utiliser l'huile et l'acrylique, les encres, et d'autres matériaux comme la rouille, etc ... Contrastes de couleurs ensuite, chaudes et froides. Contrastes de traitements de la peinture : aplats unis, touches expressionnistes, coulures, encres plus ou moins diluées. Le blanc de la toile qui semble apparaître en certains endroits ajoute encore un contraste entre parties plus ou moins peintes. Ses tableaux allient, comme le dit l'artiste, le "fond, le sens et la forme".

Dans "Agra - Taj Mahal" (technique mixte sur toile, 2009), nous voyons le Taj Mahal peint en voiles dilués gris sur fond blanc. Un gros dirigeable couleur rouille semble se rapprocher du monument. C'est un tableau presque abstrait et minimaliste, avec un gros ovale rouge chaud, dans un environnement froid. L'artiste explique : "Ce tableau est représentatif de ma manière de travailler. J'écoute les infos, et j’entends un débat sur la montée des eaux, le changement climatique. Et quelqu'un a dit que peut être en 2100, il y aura une telle montée des eaux qu'il y aura des villes sous l'eau. Donc j'ai imaginé le côté Atlantide. Cela m'intéressait beaucoup quand j'étais plus jeune, le mythe de l'Atlantide et du royaume de Mu. Ces civilisations que la nature a entièrement recouvert et qui ont disparu. J'aime bien cette dualité de l'homme qui raisonne et qui peut se servir de son intelligence pour penser et devenir quelqu'un de grand, et en même temps qui peut se faire rattraper par la nature et être complètement éradiqué par sa bêtise parce qu'il a été trop loin."

Avec "On ne peux pas comprendre ce qu'on a pas vécu" (technique mixte sur toile, 2010), nous sommes devant un tableau énigmatique. Nous voyons une pièce qui ressemble à une cave, voûtée, avec une grande fenêtre et des barreaux, débouchant sur un blanc lumineux. Il y a une plus petite fenêtre sur la droite, sur le rebord de laquelle est assis un singe. Les murs de la pièce sont gris, coulants. Il y a des carrelages jaunes. Sur le sol se trouvent une boite rouge et une chaise traitées en aplats, un tas de débris informes, d’un gris coloré, peint en grosse touche. Nous y voyons une oeuvre surréaliste, où le singe nous interroge sur notre place. Il n'y a personne dans la pièce, pourtant quelqu'un a bien ouvert cette boite et utilisé cette chaise qui sont d'une réalité certaine (le traitement en aplat épais rend l'objet sûr et certain). Le tas d'immondices au milieu est plus pictural, moins réel. Le mur est fait de coulures qui pourraient passer pour fortuites. Quant au blanc à l'extérieur de la pièce, il ne s'apparente qu'au blanc de la toile. Est-on sur de la présence humaine ? Quand on voyage dans le tableau, cette présence devient de plus en plus douteuse. Même la peinture tend à s'effacer.

L'artiste nous parle de ce tableau : "J'ai un copain musicien qui a écris une chanson dans laquelle il y a cette phrase, "On ne peux pas comprendre ce qu'on a pas vécu". Je trouve cette phrase très intéressante. C'est par rapport à l'expérience. Si tu a vécu quelque chose, tu pourras facilement en parler. J'ai trouvé dans "Telerama" une photo d'une vielle abbaye abandonnée, très belle, et cela m'a rappelé un truc d'enfance. A côté de chez moi, à Vendôme dans le Loir-et-Cher, il y avait une vielle abbaye. Un clochard vivait là. C'était dans les bois, on passait devant étant gosse, et ce clochard nous faisait peur. Je me suis rappelé ce coté sordide.
Il y a le tas d'immondices, et puis la chaise et la valise. La valise pourrait rappeler ce clochard avec le fil où il pouvait mettre ses affaires. Pour ce qui est du petit singe, je voulais un élément organique, accentuer l'aspect de solitude, avec le regard du singe. Je voulais également exprimer la nature qui reprend ses droits, avec des singes qui passent. J'aime bien les singes, parce que je suis allé au Laos et au Cambodge. A Angkor au Cambodge, je me promenais en vélo, et il y avait des singes au bord de la route. Ce sont des images que j'aime bien intégrer."

Avec « Inlandsis » (technique mixte sur toile, 2011), nous sommes dans un paysage glacé avec un ours blanc sur la neige. Une maison chaude, rouge et orange, réchauffe l'atmosphère. De forts contrastes se dégagent de ce tableau. Une longue partie noire contraste avec le paysage blanc, la maison est traitée en aplat alors que le paysage est en voiles dilués, les couleurs chaudes contrastent ave les tons blancs froids.

L'artiste explique sa démarche : "Le tableau pose le problème de l'humanité qui s'agglomère de plus en plus dans les villes. Beaucoup de gens commencent à avoir envie de grands espaces, de partir, de s'installer ailleurs. La nature, on se l'approprie de plus en plus et finalement on s'étend, on prend de plus en plus les espaces et on laisse moins d'espace libre naturel. On recule tellement, et on a tellement besoin de pouvoir trouver de nouveaux espaces pour s'installer qu’on en viendra peut-être un jour à s'installer près de la banquise. On aura peut-être une maison contemporaine, avec un ours blanc qui passe à côté, parce qu'il n'y aura plus de place."

"Sans titre" (technique mixte sur toile, 2010) fait partie d’une série sur laquelle travaille toujours Mickaël Doucet. Sur un fond gris uniforme, nous voyons un singe noir derrière deux fauteuils ronds orange. Un brin d'ADN se trouve dans la main du singe. Ce brin d'ADN passe entre les sièges. La seule présence est celle du singe. Où est l'homme ? Dans le brin d'ADN ? Il s’agit encore d’une œuvre énigmatique.

"On est aussi dans cette trinité fond, sens, forme", explique l'artiste. "Le sens, c'est évidemment le chimpanzé qui tient le modèle moléculaire d'ADN. Les chimpanzés sont à 99,5% proches de nous, donc on pourrait faire le rapprochement entre l'humanité et les singes. Ce sont toujours les mêmes idées, la dualité de l'homme. Les Ball Chair représentent les objets manufacturés par l'homme. Ce sont de très belles choses, des années 1970, qui reviennent à l'heure actuelle. Il y aussi le cote très futile de notre société, le coté très brillant. Avec le chimpanzé qui est dans cette pièce, il y a un coté animal de laboratoire qu'on utilise, c'est pour cela que je parle de l'éthique et l'esthétique."

Dans les sujets de ses toiles, Mickaël Doucet met une tension entre les éléments, une architecture sophistiquée dans une nature vierge par exemple. Ou des animaux dans un environnement humain.

On retrouve toujours un questionnement, une interrogation dans le travail de Mickaël Doucet. Où est l'homme, où est l'humain ? C'est une énigme qu'il nous pose. A nous de la résoudre.
Il y a un autre questionnement dans ses toiles qui alternent les aplats de peinture et les encres diluées. Où est le peintre, quel est l'avenir de la peinture ? Certains tableaux laissent apparaître le blanc de la toile comme si le peintre n'était plus là.

Avec Mickaël Doucet, la peinture a de l'avenir, dans notre monde dominé par les écrans. Le plaisir de travailler les bons matériaux, d'utiliser la bonne technique est toujours là.



Site web : www.mickaeldoucet.com

L'artiste est représenté par la galerie parisienne Cecile Charron : www.galeriececilecharron.com

Le Ventre de la Baleine, ateliers d’artistes à Pantin (93) : www.labaleine.org



Agra - Taj Mahal



On ne peux pas comprendre ce qu'on a pas vécu




Inlandsis

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