nicolasgoulette@yahoo.com

dimanche 25 novembre 2012

Serge Labégorre


Serge Labégorre, né en 1932 près de Bordeaux, expose ses peintures rigoureuses à la galerie Schwab Beaubourg à Paris. 

Serge Labégorre nous montre des peintures où le noir domine. Un noir synonyme de mort. Mais la mort n’est-elle pas la seule certitude que nous ayons ? Nous vivons avec elle. 

Il y a bien du rouge dans ces toiles. Le rouge peut évoquer la chair, la vie. Chez Serge Labégorre, c’est un rouge sang, un rouge d’horreur. 

Commençons notre visite avec des peintures représentant un ecclésiastique. « Cardinal aux gants blancs » montre un homme assis portant un habit rouge. Sur lui se trouvent des formes blanches. Le sol est vert, le fond noir. Les coulures dynamisent ce tableau sportif. 

Dans « Cardinal aux grandes mains », le personnage est plus calme. Son habit rouge n’est pas perturbé par d’autres formes. C’est un grand rectangle qui prend appui sur une bande ocre verte en bas du tableau. Au milieu, les mains sont jointes ; des mains aux traits marrons qui s’enlacent.

Passons à deux portraits de femmes. « Linette » est assise en face de nous, les bras croisés. Elle porte un gilet rouge vif devant le vaste fond sombre. Une œuvre très précise, pointue, acérée. 

« Edith », dont le corps est rose lumineux, flotte au milieu du rectangle marron de la toile. Mouvements très rapides, grands coups de pinceaux. Bas, haut, bas. Le dessin semble tracé extrêmement vite. L’artiste a battu le record de vitesse de peinture. 

Finissons avec deux tableaux plus inquiétants que les autres. « Grand crâne rouge » est abstrait, violent. Les gros traits noirs et le fond rouge évoquent la mort. Un quadrillage fait penser à une bouche de squelette.

« Crâne au tapis orange » montre les yeux du squelette tracés rapidement en blanc. Le fond des orbites est noir. Autour, du rouge. Tout est bouillonnant. La peinture ne recouvre même plus totalement la toile.


Serge Labégorre
Jusqu’au 5 janvier 2013

Galerie Schwab Beaubourg
35, rue Quincampoix
75004 Paris

dimanche 18 novembre 2012

Mircea Cantor


Mircea Cantor, né en Roumanie en 1977, montre ses travaux éthérés au Centre Pompidou à Paris jusqu’au 07 janvier 2013.

Wind Orchestra. Film HD 7". 2012.
Un enfant assemble trois couteaux sur une table en les faisant tenir debout. Puis il souffle dessus et les fait tomber. Il éloigne ainsi les lames menaçantes, les rendant inoffensives. Les couteaux dressés sont en équilibre instable. Le fait de souffler dessus pour les faire tomber est un moyen ingénieux de revenir à une situation plus sécurisée, plus quotidienne, moins artistique.

Epic Fountain. Epingles à nourrice plaquées or 24 carats. 2012.
Des épingles à nourrice dorées assemblées en forme d’hélice d’ADN. Œuvre immobile et muette, tremblant légèrement dans le vide ; œuvre métallique, inhumaine. De l’ADN de robot en quelque sorte. 

Don’t judge, filter, shoot. Béton et or, tamis, balles de fusil. 2012.
Des tamis faits de cercles de bois et de grillages sont assemblés en un grand cercle. A l’intérieur des tamis se trouvent des balles de fusil dont certaines sont dorées et d’autres grises. Cette œuvre filtre l'air, la vie, et ne retient que des balles, la mort. Sauf que, comme l’installation est accrochée au mur, celui-ci empêche tout passage d’air. Il masque un côtés des tamis, asphyxiant l’œuvre d’art. 

Sic Transit Gloria Mundi. Film HD 4’6". 2012. 
Un visage de femme, un bruit de tambour. La femme passe un fil de dynamite dans les mains de personnages accroupis en cercle. Lentement, elle dépose le fil dans les paumes des mains, avant de l'enflammer. L’arrière fond de cette vidéo est un mur blanc. La vidéo est elle-même un mur blanc, d’une certaine façon. 

Le travail de Mircea Cantor s’identifie aux murs blancs. Ses œuvres sont comme un grand monochrome blanc. Il s’y passe des choses de l’ordre du mouvement sensible flottant dans l’air. Mircea Cantor, ou l’esprit du mur blanc. 

samedi 10 novembre 2012

Le 59 Rivoli


Un amateur d’art parisien souhaitant visiter des expositions a le choix entre de nombreux musées et galeries, autant de lieux beaux et chics. Mais il existe un lieu différent, un lieu conçu avant tout pour les artistes et non pour les œuvres d’art, un ancien squat qui a été régularisé en 2009 : le 59 Rivoli.

L’histoire du lieu.

L’immeuble situé au 59 rue de Rivoli à Paris a été squatté dès novembre 1999 par des artistes. Il s’agissait pour eux de dénoncer les immeubles vides. Squatter un immeuble en centre ville, c’est le faire occuper par des personnes précaires, ayant peu de moyens, ne pouvant pas accéder à un logement facilement. Des gens de toutes origines, sexes, nationalités, vivent alors dans un quartier plutôt aisé. L’idée est de faire vivre un immeuble, même temporairement. Dans un immeuble vide, après les courants d’air viennent les pigeons, puis les squatteurs et enfin les nouveaux propriétaires. Le cycle se répète. Les squatteurs souhaitent gagner une liberté, un droit de vivre eux aussi dans cet immeuble cossu, et l’ouvrir au plus grand nombre. 

Les résidents du 59 Rivoli avaient dès le départ une intention artistique. Les plasticiens ont toujours eu de grosses difficultés à travailler, à trouver un atelier, à gagner un peu d’argent. Au sein d’une ville comme Paris où l’art plastique est dominé par les grandes institutions, les artistes précaires à la recherche d’un endroit pour vivre utilisent les squats comme atelier. Leur démarche est celle de prendre leur place, de prendre une place, une liberté, sans autorisation, sans attendre qu’elle soit fournie par la ville ou les institutions.

En 2001, plusieurs occupants vivent au 59 Rivoli. C’est le moment de la campagne pour les élections municipales à Paris. Le candidat Bertrand Delanoë fait la promesse de pérenniser ce squat, symbole d’une création plastique libertaire, alternative, résistante au monde de l’art contemporain tourné vers l’élitisme et le luxe. Les squatteurs font la démarche de pérenniser ce lieu et la mairie de Paris rachète l’immeuble. En 2006, le 59 Rivoli ferme pour rénovation et réouvre en 2009 en ayant signé un bail de location avec la mairie. Depuis, une trentaine d’ateliers d’artistes sont ouverts gratuitement au public. Le lieu organise des concerts et des expositions. 

Visite du 59 Rivoli. 

Allons visiter. On regarde d’abord, de l’extérieur, la façade de ce bel immeuble haussmannien aux décorations de branchages verts. De multiples fleurs factices sont accrochées aux balcons. Le soir, toutes les fenêtres sont illuminées, l’absence de volets et de rideaux donne une vie à cette autre « maison des artistes ». Les immeubles d’à côté, le long de la rue de Rivoli, sont bien plus sérieux avec leurs fenêtres noires et leurs murs nus. Entrons et montons dans les étages : l’escalier est très décoré, les marches peintes. Sur le mur, un grand dragon est dessiné joyeusement avec des écailles et des longs poils. Suivez les écailles pour monter. A chaque palier, les murs sont recouverts de personnages. Au quatrième étage, une sorte de gros génie préhistorique nous attend. On se croirait en plein délire chamanique. 

Deuxième étage. Le musée Igor Balut est un capharnaüm d’objets dans tous les sens : cintres en bois, tableaux encadrés, cage à oiseau, tissus suspendus au plafond, vieux hamac,  valises, photos, dessins, tickets de métro, cartons. L’ensemble est chaud, d’une couleur bois patiné. Quelques lumières percent à travers les affaires entassées au sol et celles qui pendent du plafond. Dans ce musée, de multiples objets sont à découvrir, les œuvres sont à chercher, à dénicher. 

Les intentions artistiques.

Les artistes du 59 Rivoli ne sont pas regroupés dans un collectif, ils n’ont pas de démarche artistique commune. Ils ne déclarent pas appartenir à un mouvement ou à une école. Chacun a ses propres influences, ses propres recherches. On retrouve pourtant quelques similitudes, d’abord parmi les artistes squatteurs en général,  mais aussi chez les résidents actuels du 59 : l’idée que l’art est démocratique et accessible à tous. Travailler dans un immeuble, dans une grande ville, peut influencer certains travaux, avec un regard sur la cité qui consomme, qui rejette (les biens et les personnes). Le lieu précaire est une étape entre la vie dans la rue et l’hébergement stable. L’immeuble vide, que l’on investit, inspire et nourrit les artistes, veilleurs d’humanité et de justice sociale.  

La place du 59 Rivoli parmi les lieux d’art parisiens.

Les galeries ont tout intérêt à cadrer, à encadrer les œuvres qu’elles exposent. Il s’agit de mettre en scène une exposition dans un lieu le plus beau possible. Les musées doivent délimiter leurs œuvres. Il faut que la frontière soit très nette entre celles-ci et les visiteurs. Ils payent pour voir de l’art, il doivent en voir de façon précise. Dans les ateliers du 59 Rivoli, pas de belles mises en espace, pas de beaux accrochages. C’est plutôt l’inverse. Ici, nous sommes chez les artistes. Ce lieu est fait pour qu’ils puissent travailler. L’accès est gratuit, les œuvres ne sont pas à vendre, les artistes sont présents. On entre dans l’intimité de la création des tableaux, sculptures et installations. Parfois, nous voyons une peinture en train de se faire. Cela dédramatise l’œuvre, la rend plus accessible, plus compréhensible. 

Perspectives d’avenir. 

Cet endroit reste précaire. Il a peu de moyen, il rayonne peu, est ignoré des circuits officiels de l’art contemporain. Mais l’enthousiasme et le dynamisme sont là. Les galeristes étrangers, qui semblent plus ouverts aux pratiques alternatives, portent plus d’attention au 59 Rivoli que les français. Les artistes du 59 ne sortent en général pas des écoles d’art. Ils ne sont pas formatés. Ils sont plus bruts, de moins bonne qualité parfois (à mon avis), ne cherchent pas à se fondre dans le moule des concours. 

Quel commissaire organisera une exposition des travaux du 59 Rivoli ? Les résidents se déplaceront-ils à l’étranger ? Pour l’instant, ils sont préoccupés par le renouvellement de leur bail, mais si cela ne devait pas arriver, ils résisteront. Ils savent faire. 


59, rue de Rivoli
75001 Paris
http://59rivoli.org

dimanche 4 novembre 2012

"L’œuvre d’art et ses significations" de Erwin Panofsky


Erwin Panofsky (1892 – 1968) est historien de l’art. Il a étudié les symboles dans les peintures de la Renaissance et principalement dans la peinture nordique. « L’œuvre d’art et ses significations », publié en 1969, est un recueil d'écrits sur l'histoire de l'art. 

Dans ce livre, il définit d'abord ce qu'est l'histoire de l'art. Puis il étudie les changements dans la conception des œuvres à la Renaissance, avec l'exemple de travaux d’Albert Dürer et du Titien. L'idée d'humanisme est née à la Renaissance. L'humaniste travaille avec les données du passé en y posant un regard critique. Les œuvres du passé, ainsi que les documents concernant ces œuvres, forment un tout qu'il faut évaluer dans son ensemble. Il y a toujours deux dimensions dans un objet d'art : une dimension pratique, fonctionnelle, et une dimension esthétique. Ces deux dimensions sont plus ou moins marquées selon les intentions du créateur mais aussi du spectateur. L'histoire de l'art a pour tâche de faire revivre les œuvres du passé. C'est une différence avec la science qui explique les changements. 

L'histoire des proportions du corps humain

Dans l'Egypte pharaonique, Les Egyptiens utilisaient un canon de proportion figé, fixé à l'avance, pour représenter leurs figures humaines. Au contraire des Egyptiens, les Grecs antiques n'ont pas de système de proportion rigide. Ils ont bien un système de relation entre les parties du corps humain, mais dans les sculptures grecques classiques, la place est laissée à l'interprétation du sculpteur, notamment concernant l'harmonie de l'œuvre, les raccourcis de certaines parties et, pour les grandes sculptures en hauteur, la possibilité de grossir une partie éloignée du spectateur. L'art médiéval utilise des structures schématiques de représentation des têtes et des corps, faites de cercles concentriques, de losanges, de triangles, de carrés. A la Renaissance, les peintres théoriciens comme Alberti, Dürer et Léonard de Vinci cherchent à préciser les proportions des corps humains en se fondant sur des données scientifiques et la mesure de vrais corps. Après la Renaissance, les artistes se désintéressent de l'étude des proportions humaines, trop systématique. 

Le changement du concept des œuvres d'art à la Renaissance

A la Renaissance, l'ambition des dessinateurs change. La recherche de la magie des volumes, la beauté des traits de crayons, la création d'une troisième dimension virtuelle et envoûtante  la force des émotions exprimées, font qu'un nouvel univers conceptuel, intellectuel et artistique voit le jour. L'œuvre entraîne le spectateur malgré lui dans l'admiration. Certains historiens contestent que la Renaissance ait été synonyme de progrès. La Renaissance a tendance à se perdre dans des systèmes de pensée néo-platoniciens. On peut cependant affirmer qu'elle a aidé à un élargissement de l'horizon artistique avec l'aide des sciences. Cette période a rompu avec beaucoup de croyances issues de l'Antiquité. Elle a fait la synthèse de plusieurs disciplines et a ouvert la voie aux spécialisations. L'art et la science se sont dissociés.

Les exemples de Dürer et du Titien

Erwin Panofsky pose la question suivante : en Europe du Nord, les artistes de la Renaissance, et Albert Dürer en tête, ont-ils redécouvert l'Antiquité à travers l'art italien de leur temps, ou directement en voyant des statues antiques ? Erwin Panofsky montre que Dürer a été influencé par une gravure italienne de son temps, et non pas par quelque sculpture antique qu'il aurait vu directement. Concernant les gravures ayant pour thème "le Soleil Justicier" où l'on voit un homme, le Christ, la tête entouré de flammes comme un soleil, Panofsky montre que Dürer s'est inspiré de croyances très présentes à la fin du Moyen-Age. Dürer s'est référé à des gravures italiennes du 15ème siècle pour réinterpréter l'Antiquité. Ces gravures italiennes avaient pour modèles des œuvres antiques qu’elles ont réinterprétées au goût italien du 15ème siècle. Selon Panofsky, les artistes de la Renaissance d'Europe du Nord n'auraient pas pu comprendre les statues antiques directement. C’est grâce aux les Italiens que les Allemands et les Hollandais accèdent à la compréhension de l'Antique. 

En Europe du Nord, dans les gravures de la Renaissance voulant imiter l'Antique, on trouve des éléments copiés d'œuvres de Dürer. Ce qui signifie qu’Albert Dürer était considéré comme une référence pour l'art de style classique. 

Panofsky analyse un tableau du Titien : la Prudence. A la Renaissance, les artistes reprennent ce thème antique du monstre tricéphale (têtes de loup, lion, chien) qui, avec le serpent, représente la Prudence et le Temps. Les artistes reprennent ce thème sous la forme d'un serpent à trois têtes d'abord, puis d'un quadrupède à trois têtes entouré d'un serpent. Ce monstre n'est plus lié au dieu égyptien Sérapis, comme dans la basse antiquité, mais à Apollon, dieu latin et grec. Le thème des trois têtes a eu une grande fortune dans les gravures et ornementations des 16ème et 17ème siècles. En conclusion, et pour revenir au tableau du Titien, Panofsky conclue qu'analyser un tableau n'est pas seulement le décrire, c'est aussi rechercher les sources de ses thèmes et sujets. 


Erwin Panofsky, L'œuvre d'art et ses significations, Paris, Gallimard, 1969