Erwin Panofsky (1892 – 1968) est historien de l’art. Il a étudié les symboles dans les peintures de la Renaissance et principalement dans la peinture nordique. « L’œuvre d’art et ses significations », publié en 1969, est un recueil d'écrits sur l'histoire de l'art.
Dans ce livre, il définit d'abord ce qu'est l'histoire de l'art. Puis il étudie les changements dans la conception des œuvres à la Renaissance, avec l'exemple de travaux d’Albert Dürer et du Titien. L'idée d'humanisme est née à la Renaissance. L'humaniste travaille avec les données du passé en y posant un regard critique. Les œuvres du passé, ainsi que les documents concernant ces œuvres, forment un tout qu'il faut évaluer dans son ensemble. Il y a toujours deux dimensions dans un objet d'art : une dimension pratique, fonctionnelle, et une dimension esthétique. Ces deux dimensions sont plus ou moins marquées selon les intentions du créateur mais aussi du spectateur. L'histoire de l'art a pour tâche de faire revivre les œuvres du passé. C'est une différence avec la science qui explique les changements.
L'histoire des proportions du corps humain
Dans l'Egypte pharaonique, Les Egyptiens utilisaient un canon de proportion figé, fixé à l'avance, pour représenter leurs figures humaines. Au contraire des Egyptiens, les Grecs antiques n'ont pas de système de proportion rigide. Ils ont bien un système de relation entre les parties du corps humain, mais dans les sculptures grecques classiques, la place est laissée à l'interprétation du sculpteur, notamment concernant l'harmonie de l'œuvre, les raccourcis de certaines parties et, pour les grandes sculptures en hauteur, la possibilité de grossir une partie éloignée du spectateur. L'art médiéval utilise des structures schématiques de représentation des têtes et des corps, faites de cercles concentriques, de losanges, de triangles, de carrés. A la Renaissance, les peintres théoriciens comme Alberti, Dürer et Léonard de Vinci cherchent à préciser les proportions des corps humains en se fondant sur des données scientifiques et la mesure de vrais corps. Après la Renaissance, les artistes se désintéressent de l'étude des proportions humaines, trop systématique.
Le changement du concept des œuvres d'art à la Renaissance
A la Renaissance, l'ambition des dessinateurs change. La recherche de la magie des volumes, la beauté des traits de crayons, la création d'une troisième dimension virtuelle et envoûtante la force des émotions exprimées, font qu'un nouvel univers conceptuel, intellectuel et artistique voit le jour. L'œuvre entraîne le spectateur malgré lui dans l'admiration. Certains historiens contestent que la Renaissance ait été synonyme de progrès. La Renaissance a tendance à se perdre dans des systèmes de pensée néo-platoniciens. On peut cependant affirmer qu'elle a aidé à un élargissement de l'horizon artistique avec l'aide des sciences. Cette période a rompu avec beaucoup de croyances issues de l'Antiquité. Elle a fait la synthèse de plusieurs disciplines et a ouvert la voie aux spécialisations. L'art et la science se sont dissociés.
Les exemples de Dürer et du Titien
Erwin Panofsky pose la question suivante : en Europe du Nord, les artistes de la Renaissance, et Albert Dürer en tête, ont-ils redécouvert l'Antiquité à travers l'art italien de leur temps, ou directement en voyant des statues antiques ? Erwin Panofsky montre que Dürer a été influencé par une gravure italienne de son temps, et non pas par quelque sculpture antique qu'il aurait vu directement. Concernant les gravures ayant pour thème "le Soleil Justicier" où l'on voit un homme, le Christ, la tête entouré de flammes comme un soleil, Panofsky montre que Dürer s'est inspiré de croyances très présentes à la fin du Moyen-Age. Dürer s'est référé à des gravures italiennes du 15ème siècle pour réinterpréter l'Antiquité. Ces gravures italiennes avaient pour modèles des œuvres antiques qu’elles ont réinterprétées au goût italien du 15ème siècle. Selon Panofsky, les artistes de la Renaissance d'Europe du Nord n'auraient pas pu comprendre les statues antiques directement. C’est grâce aux les Italiens que les Allemands et les Hollandais accèdent à la compréhension de l'Antique.
En Europe du Nord, dans les gravures de la Renaissance voulant imiter l'Antique, on trouve des éléments copiés d'œuvres de Dürer. Ce qui signifie qu’Albert Dürer était considéré comme une référence pour l'art de style classique.
Panofsky analyse un tableau du Titien : la Prudence. A la Renaissance, les artistes reprennent ce thème antique du monstre tricéphale (têtes de loup, lion, chien) qui, avec le serpent, représente la Prudence et le Temps. Les artistes reprennent ce thème sous la forme d'un serpent à trois têtes d'abord, puis d'un quadrupède à trois têtes entouré d'un serpent. Ce monstre n'est plus lié au dieu égyptien Sérapis, comme dans la basse antiquité, mais à Apollon, dieu latin et grec. Le thème des trois têtes a eu une grande fortune dans les gravures et ornementations des 16ème et 17ème siècles. En conclusion, et pour revenir au tableau du Titien, Panofsky conclue qu'analyser un tableau n'est pas seulement le décrire, c'est aussi rechercher les sources de ses thèmes et sujets.
Erwin Panofsky, L'œuvre d'art et ses significations, Paris, Gallimard, 1969
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire