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samedi 8 décembre 2012

Bertrand Lavier


Né en 1949 en Bourgogne, Bertrand Lavier peint et sculpte des objets qui font réfléchir au statut d’œuvre d’art. Le Centre Pompidou présente jusqu’au 7 janvier 2013 une rétrospective de 40 années de recherche de cet artiste. Pour Bertrand Lavier, le spectateur interprète l’œuvre d’art d’une certaine façon qui  est différente de l’intention qu’avait le créateur à l’origine. Le fait d’exposer ou de regarder une œuvre d’art porte atteinte à sa fonction originelle et l’enferme dans un cadre limité que n’avait pas prévu le créateur et dont elle ne peut sortir. C’est la condition de sa conservation. Si l’œuvre sort de ce cadre, c’est à dire si elle sort du musée, elle disparaît.


Les trois perceptions de l’œuvre d’art 

Commençons la visite de l’exposition et arrêtons-nous devant quelques pièces. « Ndebele » est un ensemble de  carrés de céramique colorés formant un tracé décoratif. C’est une œuvre reposante. Nous prenons conscience qu’il s’agit d’un objet du quotidien : un ensemble de céramique. Trois niveaux de lecture s’offrent à nous. Nous voyons une réalisation de l’artiste Bertrand Lavier ; nous voyons un mur de céramique ; nous voyons un tableau abstrait. 

« Le château des papes » est un tableau réalisé avec des carrés de mosaïques. Au premier regard, nous n’avons aucun doute. C’est un paysage fait de petits carrés de couleur, un paysage lumineux sous la lumière blanche. Puis nous devinons, car nous sommes dans une exposition consacrée à Bertrand Lavier, que celui-ci a imité un tableau pointilliste. C’est sympathique. 

Mais quand nous restons longtemps devant le tableau, le doute s’installe. A y bien regarder, nous ne voyons pas grand-chose. Il est presque impossible de reconstituer le paysage. Nous nous étions appuyé, comme toujours, sur le titre du tableau pour comprendre ce qu’il représente. Quelques traits, plus ou moins sombres, structurent cette étendue blanche. A force de regarder, nous croyons deviner le vrai sujet de l’œuvre : des bateaux, une étendue d’eau, un port. Ici encore, il y a trois niveaux de perception : le tableau pointilliste, le travail de Lavier, le paysage de bord de mer.


La peinture a une fonction, que ce soit sur les objets du quotidien ou sur les toiles artistiques 

Bertrand Lavier a repeint des objets (un piano, un réfrigérateur, un taille-haie, …) en respectant leur couleur d’origine et en laissant apparaître de grosses touches de peinture. Ces touches épaisses nous renseignent sur le fait que ces objets sont repeints. Sans l’épaisseur visible de la peinture, nous ne verrions pas l’intervention de l’artiste car ces objets sont déjà en partie peints industriellement.

Nous voyons aussi une toile déjà peinte par un artiste (François Morellet) sur laquelle Bertrand Lavier a peint à l’identique en grosses touches.

Avec « Vézelay », Bertrand Lavier a repeint un panneau indiquant l’entrée de la ville de Vézelay. Sur ce panneau se trouve un dessin de la ville avec la basilique et les toits des maisons. Bertrand Lavier peint à l’identique sur le dessin lui-même. Il n’a pas conçu ce dessin. L’intérêt de l’œuvre réside dans les grosses touches de peinture, non dans le dessin de la ville que Lavier imite.

Ces gestes illustrent le fait que la peinture industrielle et la peinture artistique ont une parenté, une similitude dans leurs intentions. Il s’agit de peindre pour donner une fonction à un objet ou une œuvre. La peinture sur un objet du quotidien le rend agréable à regarder. La peinture sur une toile artistique la rend agréable à l’œil et à l’esprit.

Ce qui intéresse Lavier, c’est l’apparence visible des objets, leurs surfaces, leurs couleurs. Et l’image que nous en avons. Nous reconnaissons un objet par la couleur de sa surface, nous reconnaissons que sa couleur est utile, particulièrement dans le cas des panneaux de signalisation. Ces travaux interrogent la façon dont nous identifions les couleurs. Les beaux-arts sont, entre autres, le domaine de la couleur. Mais la couleur est généralement au service d’une fonction qui la dépasse. Avec Lavier, la couleur de l’œuvre surpasse celle-ci. 


Les collectionneurs apprécient les œuvres d’art pour les intentions qui présidaient à leurs créations et qui ont disparu

Bertrand Lavier expose des objets montés sur un socle à la manière des statuettes africaines : un siège, un ours en peluche, etc. Ce sont des objets du quotidien, des objets usés. Pour Lavier, il est important que ces objets aient déjà servis. Il imite ainsi les attentions des collectionneurs de statues africaines. Pour qu’une statue soit intéressante, il faut qu’elle porte des traces d’utilisation et d’usure.

Le socle permet de sacraliser un objet, de lui donner un statut d’œuvre d’art précieuse. C’est ironique et émouvant de voir un objet du quotidien devenir inaccessible car offert à la vue de visiteurs de musée. Ces objets ont vécu, ils ont vieillis, ils étaient voués à disparaître. En conservant les œuvres d’art, nous les rendons immortelles.


Exposer une œuvre, c’est la sortir du milieu qui l'a fait naître pour mieux l’encadrer et l’enfermer

Bertrand Lavier a voulu briser l’unicité des œuvres, les faire vivre, exister. Ses travaux dérangent notre conception de l’œuvre d’art. Nous voudrions les enfermer, les cadrer, proposer une explication, la vision que nous en avons. Nous plaçons forcément une limite aux œuvres quand nous les exposons, les regardons ou les achetons. Tant qu’il y aura des amateurs d’art pour figer les œuvres, les artistes auront du travail pour dépasser cet enfermement du regard.

A la fin du parcours de cette rétrospective, nous arrivons à un faux musée créé par Bertrand Lavier et intitulé « Walt Disney productions ». Lavier a recréé les peintures et les sculptures dessinées dans le « journal de Mickey » du 2 janvier 1972 où Mickey visite un musée d’art moderne. L’installation est une mise en scène de musée, bien délimitée dans un espace clos derrière une vitre. Exceptionnellement, les murs ne sont pas blancs mais jaunes et verts. Pour nous, amateurs d’art bercés de références historiques et de concepts intellectuels, ce musée de bande dessinée n’a pas de vocation artistique. D’ailleurs le cartel explicatif, en dehors de l’espace de l’installation, rassure notre place de visiteur de « vrai » musée : « ces reproductions grandeur nature d’œuvres qui n’existent pas gardent les marques de leur univers fictionnel d’origine ».

Les commissaires du centre Pompidou n’ont pas osé enlever la limite entre les espaces muséaux réels et la proposition de Bertrand Lavier. Ils sont restés dans leur rôle. Par contre ils ont changé l’intention initiale en plaçant, également à l’extérieur de l’installation, des cartels qui concernent les deux sculptures de l’espace : « résine, peinture ». Il aurait fallu, pour être fidèle à l’artiste, placer ces cartels à l’intérieur de l’espace clos.

Les musées ont pour vocation à sortir de leur contexte des pièces qui n’étaient originellement pas conçu pour eux. Des pièces porteuses d’intentions d’artistes, de vies d’artistes, d’éléments personnels qui leurs sont associés et qui sont perdus lorsque nous les exposons et les regardons des années plus tard. Les œuvres d’art meurent aussi. Elles ont droit au repos éternel, embaumées dans un musée. C’est la condition pour que l’on se souvienne d’elles.

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