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samedi 10 novembre 2012

Le 59 Rivoli


Un amateur d’art parisien souhaitant visiter des expositions a le choix entre de nombreux musées et galeries, autant de lieux beaux et chics. Mais il existe un lieu différent, un lieu conçu avant tout pour les artistes et non pour les œuvres d’art, un ancien squat qui a été régularisé en 2009 : le 59 Rivoli.

L’histoire du lieu.

L’immeuble situé au 59 rue de Rivoli à Paris a été squatté dès novembre 1999 par des artistes. Il s’agissait pour eux de dénoncer les immeubles vides. Squatter un immeuble en centre ville, c’est le faire occuper par des personnes précaires, ayant peu de moyens, ne pouvant pas accéder à un logement facilement. Des gens de toutes origines, sexes, nationalités, vivent alors dans un quartier plutôt aisé. L’idée est de faire vivre un immeuble, même temporairement. Dans un immeuble vide, après les courants d’air viennent les pigeons, puis les squatteurs et enfin les nouveaux propriétaires. Le cycle se répète. Les squatteurs souhaitent gagner une liberté, un droit de vivre eux aussi dans cet immeuble cossu, et l’ouvrir au plus grand nombre. 

Les résidents du 59 Rivoli avaient dès le départ une intention artistique. Les plasticiens ont toujours eu de grosses difficultés à travailler, à trouver un atelier, à gagner un peu d’argent. Au sein d’une ville comme Paris où l’art plastique est dominé par les grandes institutions, les artistes précaires à la recherche d’un endroit pour vivre utilisent les squats comme atelier. Leur démarche est celle de prendre leur place, de prendre une place, une liberté, sans autorisation, sans attendre qu’elle soit fournie par la ville ou les institutions.

En 2001, plusieurs occupants vivent au 59 Rivoli. C’est le moment de la campagne pour les élections municipales à Paris. Le candidat Bertrand Delanoë fait la promesse de pérenniser ce squat, symbole d’une création plastique libertaire, alternative, résistante au monde de l’art contemporain tourné vers l’élitisme et le luxe. Les squatteurs font la démarche de pérenniser ce lieu et la mairie de Paris rachète l’immeuble. En 2006, le 59 Rivoli ferme pour rénovation et réouvre en 2009 en ayant signé un bail de location avec la mairie. Depuis, une trentaine d’ateliers d’artistes sont ouverts gratuitement au public. Le lieu organise des concerts et des expositions. 

Visite du 59 Rivoli. 

Allons visiter. On regarde d’abord, de l’extérieur, la façade de ce bel immeuble haussmannien aux décorations de branchages verts. De multiples fleurs factices sont accrochées aux balcons. Le soir, toutes les fenêtres sont illuminées, l’absence de volets et de rideaux donne une vie à cette autre « maison des artistes ». Les immeubles d’à côté, le long de la rue de Rivoli, sont bien plus sérieux avec leurs fenêtres noires et leurs murs nus. Entrons et montons dans les étages : l’escalier est très décoré, les marches peintes. Sur le mur, un grand dragon est dessiné joyeusement avec des écailles et des longs poils. Suivez les écailles pour monter. A chaque palier, les murs sont recouverts de personnages. Au quatrième étage, une sorte de gros génie préhistorique nous attend. On se croirait en plein délire chamanique. 

Deuxième étage. Le musée Igor Balut est un capharnaüm d’objets dans tous les sens : cintres en bois, tableaux encadrés, cage à oiseau, tissus suspendus au plafond, vieux hamac,  valises, photos, dessins, tickets de métro, cartons. L’ensemble est chaud, d’une couleur bois patiné. Quelques lumières percent à travers les affaires entassées au sol et celles qui pendent du plafond. Dans ce musée, de multiples objets sont à découvrir, les œuvres sont à chercher, à dénicher. 

Les intentions artistiques.

Les artistes du 59 Rivoli ne sont pas regroupés dans un collectif, ils n’ont pas de démarche artistique commune. Ils ne déclarent pas appartenir à un mouvement ou à une école. Chacun a ses propres influences, ses propres recherches. On retrouve pourtant quelques similitudes, d’abord parmi les artistes squatteurs en général,  mais aussi chez les résidents actuels du 59 : l’idée que l’art est démocratique et accessible à tous. Travailler dans un immeuble, dans une grande ville, peut influencer certains travaux, avec un regard sur la cité qui consomme, qui rejette (les biens et les personnes). Le lieu précaire est une étape entre la vie dans la rue et l’hébergement stable. L’immeuble vide, que l’on investit, inspire et nourrit les artistes, veilleurs d’humanité et de justice sociale.  

La place du 59 Rivoli parmi les lieux d’art parisiens.

Les galeries ont tout intérêt à cadrer, à encadrer les œuvres qu’elles exposent. Il s’agit de mettre en scène une exposition dans un lieu le plus beau possible. Les musées doivent délimiter leurs œuvres. Il faut que la frontière soit très nette entre celles-ci et les visiteurs. Ils payent pour voir de l’art, il doivent en voir de façon précise. Dans les ateliers du 59 Rivoli, pas de belles mises en espace, pas de beaux accrochages. C’est plutôt l’inverse. Ici, nous sommes chez les artistes. Ce lieu est fait pour qu’ils puissent travailler. L’accès est gratuit, les œuvres ne sont pas à vendre, les artistes sont présents. On entre dans l’intimité de la création des tableaux, sculptures et installations. Parfois, nous voyons une peinture en train de se faire. Cela dédramatise l’œuvre, la rend plus accessible, plus compréhensible. 

Perspectives d’avenir. 

Cet endroit reste précaire. Il a peu de moyen, il rayonne peu, est ignoré des circuits officiels de l’art contemporain. Mais l’enthousiasme et le dynamisme sont là. Les galeristes étrangers, qui semblent plus ouverts aux pratiques alternatives, portent plus d’attention au 59 Rivoli que les français. Les artistes du 59 ne sortent en général pas des écoles d’art. Ils ne sont pas formatés. Ils sont plus bruts, de moins bonne qualité parfois (à mon avis), ne cherchent pas à se fondre dans le moule des concours. 

Quel commissaire organisera une exposition des travaux du 59 Rivoli ? Les résidents se déplaceront-ils à l’étranger ? Pour l’instant, ils sont préoccupés par le renouvellement de leur bail, mais si cela ne devait pas arriver, ils résisteront. Ils savent faire. 


59, rue de Rivoli
75001 Paris
http://59rivoli.org

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