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dimanche 10 mars 2013

Julio Le Parc


Formule couleur

La galerie Bugada et Cargnel, située dans le 19ème arrondissement de Paris, présente des toiles de Julio Le Parc jusqu’au 13 avril 2013. Il s’agit d’une série de tableaux commencée en 1970 intitulée « surface – couleur ». Les toiles colorées sont formulées selon des règles de composition très précises. 

Julio Le Parc est argentin. Il est âgé de 84 ans. Dans les années 1960, à Paris, il a été le promoteur d’un art engagé et collectif luttant contre les formes de peinture traditionnelles qui font la part belle à l’originalité et à l’individualité de l’artiste. Il a fondé en 1960 le GRAV, le « groupe de recherche d’art visuel », avec les argentins Horacio Garcia-Rossi et Francisco Sobrino et les français François Morellet, Joël Stein et Yvaral.

Pour Julio Le Parc, l’art doit s’adapter au monde moderne et proposer au spectateur des expériences innovantes. Avec ses des peintures, sculptures, mobiles et installations de lumière, il créé des œuvres instables qui semblent bouger selon les déplacements des spectateurs. 

En 1966, il obtient le grand prix de la biennale de Venise. C’est la consécration de l’ « op art », l’art optique. Le GRAV est dissous en 1968, mais les travaux de Julio Le Parc deviennent encore plus politique, critiquant l’impérialisme américain et le militarisme. Il refuse en 1972 l’invitation à exposer au musée d’art moderne de la ville de Paris en jouant sa participation à pile ou face. 

A la galerie Bugada et Cargnel, nous voyons des tableaux abstraits colorés, des formes géométriques nettement délimitées. Les couleurs sont très fortes, très saturées, et donnent à l’ensemble un caractère violent et agressif. Julio Le Parc semble vouloir faire entrer dans ses toiles plus de choses qu’elles ne peuvent en contenir.

Les œuvres de Julio Le Parc nous envahissent comme le numérique et les écrans envahissent notre vie. Ses touches de couleur sont des pixels de peinture. A s’approcher trop près, à regarder trop longtemps les toiles, nous risquons de nous abîmer les yeux. 


Virginie Barbier, directrice de la galerie Bugada et Cargnel, a bien voulu répondre à nos questions. Nous l’en remercions.

Nicolas Goulette : Les œuvres exposées sont très colorées, très saturées. Est-ce que les couleurs ne sont pas trop saturées ?


Virginie Barbier : C’est une série que Julio Le Parc a élaboré dès 1958. La série s’appelle « surface - couleur ». Julio Le Parc faisait des recherches sur la couleur et le plan des toiles. Il a mis en place un système très rigoureux de combinaisons numérotées. Il a défini quatorze couleurs du spectre chromatique qu’il peut combiner. Julio Le Parc souhaite éliminer toute trace de composition subjective en utilisant un système unitaire dépendant d'un programme déterminé afin de régir la surface, les formes et leur relation au plan. Cela n'a rien d'aléatoire et vise à augmenter la distance entre l'artiste et l'œuvre (contrairement à Victor Vasarely, par exemple, qui revendiquait le droit d'intervenir et d'exprimer la personnalité créatrice de l'artiste).

Il  a calculé que pour réaliser à la gouache les variations résultant d'un seul système et au rythme de deux jours par gouache, il lui aurait fallu 150 ans pour exécuter toutes les combinaisons.

NG : Comment vous avez choisi ces toiles ? 


VB : C'est Julio Le Parc lui-même qui a décidé de mettre à l'honneur la « Couleur » comme le titre de notre exposition l'indique. Il a opéré un choix de quinze toiles de la série «surface - couleur » et d'un ensemble sculptural coloré pour cette exposition.

Il y a une très grosse rétrospective de Julio Le Parc sur 2000 m² au Palais de Tokyo en ce moment. Grâce à ses espaces incroyables, le Palais de Tokyo fait la part belle aux œuvres monumentales et environnements de l'artiste. Les toiles de la série « surface - couleur » y sont moins présentes mais on peut y retrouver une toile monumentale, « Longue marche » (1974, 200 x 2000 cm), et une salle regroupant quelques cibles.

A la galerie, nous avons des toiles de cette série en grand format. Celles du fond (de la galerie) qui font trois mètres sont des toiles anciennes qui datent des années 1970. Et puis  il y a un mélange avec des œuvres plus récentes : les « cibles » sont datées de 2012 ou plus précisément bi-datées 1970-2012.

NG : Il a fait aussi des œuvres moins colorées. 

VB : Oui, il a fait des toiles qui sont noires et blanches mais d’une autre série, intitulée « modulation ». Et d’ailleurs au tout début de ses recherches sur la toile, le plan et les combinaisons en 1958, Julio avait commencé avec des teintes que l’on appelle des non couleurs, le gris, le noir et le blanc. Et en 1959, il a décidé d’étendre ses recherches avec la couleur. 

NG : Il était quand même assez libertaire et anti institutions au début. 

VB : Il l’est toujours, c’est un artiste très engagé. 

NG : Pourquoi a-t-il accepté d’exposer en galerie ? 

VB : Il a toujours exposé en galerie. Julio n’est pas vraiment contre le circuit commercial mais plutôt contre le circuit institutionnel. Pour Julio, l’œuvre se suffit à elle-même. Les aspects littéraires, ce que l’on peut écrire sur ses œuvres à côté, ce sont des plus, des ajouts, mais cela ne doit pas servir l’œuvre. Quand le spectateur arrive devant une œuvre de Julio, il est censé l’apprécier à sa juste valeur et la saisir dans l’instant. Pour l’art conceptuel d’aujourd’hui, on a besoin de beaucoup de textes pour expliciter les œuvres. Ce n’est pas du tout le cas de Julio Le Parc. 

On a beaucoup parlé de Julio et de son art engagé anti institutionnel parce que son exposition au musée d’art moderne il y a trente ans s’est jouée sur une pièce à pile ou face. Il a décidé de ne pas exposer. C’est pour prouver aussi qu’il n’est pas lié et soumis à ces institutions. Son œuvre perdure, continue. Il vit et créé par lui-même dans son atelier. Il a 84 ans mais il n’a jamais cessé de créer. 

Il a une production actuelle comme le montre les toiles datées de 2012-2013. C’est une façon aussi de dire qu’un courant marquant et emblématique de l’histoire de l’art n’a pas forcément besoin du support assidu des institutions pour perdurer et survivre. C’est un très bel exemple. 


Galerie Bugada et Cargnel
7-9, rue de l'Équerre
75019 Paris

Julio Le Parc
« Couleurs »
Exposition jusqu'au 13 avril 2013

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