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samedi 21 avril 2012

Laurent Godard

Il existe à Paris un lieu tout à fait drôle et unique dans le monde des arts : Flateurville. Village imaginaire, lieu d’exposition, mise en scène rêvée, œuvre multiple de Laurent Godard. C'est un ancien hangar industriel, que l'artiste occupe et transforme. Laurent Godard peint. Ses peintures sur toile sont accrochées dans toutes les pièces. Jusqu'ici, rien d'original. Mais en s'approchant et en regardant les tableaux de plus près, nous découvrons un peintre hors pair, un artiste complet, dont chaque tableau nous surprend.

Dans la chambre se trouve un portrait mélancolique. Les yeux du personnage semblent fatigués. Il y a de forts contrastes dans cette toile, sur fond violet avec la tête peinte en jaune pâle. Les traits énergiques et imparables, le dessin cassé, la bouche expressive, les cheveux « dans le vent », tout dans cette toile est énergique, vif, brillant. Dans la grande salle du fond, nous voyons un grand tableau représentant une tête. Là encore, c'est un format assez inhabituel, un format carré, d'une taille parmi les plus grandes. Sur un fond magnifiquement sombre (une terre violette lisse et brillante) se trouve une tête illuminée, éclairante, avec sa couleur beige clair. Quelques ombres discrètes et fondues modèlent cette « force » de la peinture.

Puis nous nous arrêtons devant un autre tableau carré jaune et bleu. Fait rare chez Laurent Godard, la main du personnage est représentée, avec quatre doigts qui rentrent dans la toile sur le bord droit. Les traits noirs coulants semblent plus languissants qu’ailleurs, plus suaves, plus assoupis, plus attirants. Enfin, de nouveau dans la chambre, un grand portrait nous regarde. Les traits noirs sont plus présents que dans les autres toiles, formant des masses noires pour les ombres et les cheveux. Le visage est modelé par des gros traits de pinceau, presque frottés sur la toile, en une touche assez inhabituelle.

Que dire, dans ce hangar reconstitué en lieu d’art ? Que dire, mis à part époustouflant ? Disons plutôt jamais vu. Précisons. Pour le lieu, il est unique. Nous avons l’habitude de voir l’art dans des lieux officiels, les musées, les institutions. Ici, l’espace est mis en scène, illustré, raconté, il héberge des œuvres d’art, on y écoute de la musique, on y boit un verre.

En ce qui concerne les tableaux, ils sont géniaux. Tous sont différents, tous ont un brin d’originalité, une trouvaille plastique. Bravo aux formats carrés, qui ne se remarquent pas au premier abord. Ce sont eux qui portent les plus grandes originalités picturales, ce sont eux qui semblent pousser l’artiste Laurent Godard dans ses retranchements, à être toujours plus inventif pour faire fonctionner l’œuvre. Chaque toile a son innovation.


Laurent Godard a bien voulu répondre à nos questions. Nous l'en remercions.


Nicolas Goulette : Sur tes tableaux, je ne vois que des portraits. Pourquoi des portraits, que souhaites-tu exprimer ? Est-ce que ce sont des autoportraits ?

Laurent Godard : Pourquoi que des portraits ? Parce que généralement, quand je vais peindre, je pense rarement à ce que je vais peindre. J’ai rarement une idée de peinture, je vais peindre comme ça. Je peins quand je trouve du temps. Pour moi la complexité dans la peinture, c’est de trouver du temps pour être disponible, ne pas avoir de téléphone, ne pas être embêté, jusque concentré sur un support, avec des pots de peinture. Donc j’arrive face à une toile, je peins comme un gamin qui regarde les nuages, et quand tu regardes les nuages, tu vois des petits personnages qui apparaissent. Et quand je regarde la toile, c’est pareil. Je cherche et je vois des personnages qui se dessinent doucement, et je vais les peindre.

Généralement, c’est toujours une grande toile. Ce sont des visages qui apparaissent, des visages avec des regards, avec des expressions, avec des sourires. Toujours un petit sourire en coin. Au premier abord, tout le monde me dit que c’est triste, et après les gens me disent : « je les ais regardé, et finalement, ils ne sont pas tristes ». Effectivement, ils ne sont pas tristes. Ils peuvent  être perplexes et ils ont surtout un petit sourire au coin de la lèvre. Quand tu les regardes, tu vois que, finalement, il y a un petit truc un peu joyeux. Parfois aussi, un peu inquiet, mais il y a un petit coin d’émotion positive et de joie qui s’exprime.

Est-ce que ce sont des autoportraits ? Je ne peins pas avec un miroir. Cela m’arrive très rarement. Je ne peins pas non plus avec des photos. Je n’ai pas une peinture réaliste. C’est juste une peinture comme ça, une espèce de flou. Tu reconnais les yeux, le nez, la bouche, les oreilles, les cheveux. Mais ce n’est pas une peinture académique, ce n’est pas équilibré, c’est très spontané, c’est très  enfantin. Il n’y a pas une recherche de ressemblance, il n’y a pas une recherche de perfection. Le personnage apparaît au fil de la peinture qui coule sur la toile ou au fil des coups de pinceaux.


Pourquoi investir des lieux ? Est-ce que les lieux sont une activité artistique pour toi ? Est-ce que tu investis des lieux pour exposer tes tableaux ou est-ce indépendant des tableaux ? 

Souvent, le départ, cela a été pour présenter mes travaux, pour présenter mes peintures. Et ces lieux là sont aussi les lieux de création de ces peintures. Je transporte très rarement mes peintures d’un lieu à l’autre. Je n’aime pas beaucoup les bouger et les emmener dans un lieu d’exposition. Je préfère, quand j’expose quelque part, peindre sur place. Créer sur place, ce que va m’inspirer le moment, le pays, l’époque, la saison. J’aime bien travailler dans les espaces que j’investis. Et généralement j’ai une espèce de petit protocole qui s’est répété plusieurs fois, et qui maintenant est devenu presque un mode d’emploi pour moi.

Souvent, ce sont des lieux qui sont un peu encombrés, un peu maltraités, mal en point. Je vais les structurer, selon le même schéma. Rapidement, je me fais un petit coin de vie pour moi et pour les proches qui m’accompagnent. Dès le premier jour, je me fais un petit coin pour créer, un petit atelier de travail, de peinture, d’écriture aussi. J’essaie de me connecter rapidement aussi, connecter mon ordinateur, avoir accès à internet. Et rapidement j’en fais des lieux festifs, pour pouvoir présenter le travail fait sur place et recevoir des amis ou des gens des alentours. Le dance-floor est important. Il n’y a pas de télévision, il y a des vidéos, qui présentent des films que je m’amuse à faire, qui racontent la même histoire.


Quels sont tes prochains projets ? Souhaites-tu investir d’autres lieux comme Flateurville ?

Mon projet, c’est de construire le village, de construire Flateurville. Je m’amuse de mon vivant à construire le mien. Il y a trois niveaux à Flateurville : les amis du village, les citoyens du village, ceux qui ont la carte d’identité, qui sont informés des différents événements de Flateurville, et les « flateurs ». J’essaie de monter un réseau social de flateurs, de gens qui vont apporter leur compétence. Et je dis que chaque flateur est porteur du drapeau carré-rond, chaque flateur participe à la réflexion et à l’écriture du manifeste de la révolution flateuse, chaque flateur m’aide à conduire cette révolution flateuse, à construire un village planétaire, sans frontière, où tous les lieux sont organisés de la même façon comme ici : un lieu de vie, un lieu de création, de réception pour les gens, un lieu de réflexion et d’écriture du manifeste.

De mon vivant, je m’amuse à construire ce village, et je continuerai dans les semaines à venir à récupérer de nouveaux lieux, à rencontrer de nouveaux complices. C’est un projet de vie et donc là j’ai plusieurs pistes, d’autres lieux. Je ne vais pas m’arrêter là, c’est sûr. Je vais essayer de monter un manuel « carré-rond » pour les enfants pour les aider à ne jamais laisser dormir l’artiste qui est en eux. Et aussi un manuel pour aider les adultes pour réveiller l’artiste qui est en eux. Toutes les disciplines artistiques confondues. Voilà : « Je ne sais pas faire mais je m’autorise à faire, je travaille, je me mets au boulot et au bout du compte quelque chose va sortir ».



Flateurville
24, cours des petites écuries
75010 Paris

www.flateurblog.com
www.flateurville.com

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